vendredi 30 novembre 2007

Le jeu vidéo est-il un art ?


A peu près tous les livres sur la création de jeu vidéo l’affirment. En même temps, s’il est tant besoin de le rabâcher c’est que les choses ne sont sans doute pas si évidentes. En effet, le droit d’auteur n’existe pas dans les jeux vidéo et l’industrie ne veut pas en entendre parler. De ce point de vue, il ne peut donc y avoir d’artiste sans droit d’auteur. En parallèle, l’Etat ne taxe pas les jeux en tant qu’objets culturels, comme les livres par exemple, mais en tant que produits de consommation. Aussi, en pratique, si l’industrie qui le produit ne reconnaît pas le jeu vidéo comme art, et que l’Etat n’en fait même pas un produit culturel, alors force est de constater qu’il n’en est pas un.

Mais au-delà de cette réalité pragmatique, est-il possible d’attribuer une essence artistique au jeu vidéo ? En premier lieu, il est frappant de constater que seuls les jeux vidéo réclament ce statut, et non les autres types de jeux (de société, de plein air…). Ce n’est donc pas l’aspect ludique qui leur ferait accéder au rang d’œuvre artistique, et c’est même ce qui les en empêcherait. En effet, l’art n’a d’autre but que d’élever spirituellement l’homme en exprimant, autant comme un jus que comme un acte de communication, ce qui caractérise sa culture, c'est-à-dire ce qui sépare l’homme de l’animal, son humanité dans le double sens latin de sensible (qui relève à la fois des sens et des sentiments) et de civilisé. Le jeu a pour but premier le plaisir, le divertissement, et non l’émotion ou l’élévation spirituelle.

L’autre difficulté est celui du statut de l’œuvre collective. Comment imaginer une expression artistique d’un média qui naît de la collaboration de 150 personnes ? Le cinéma a résolu cette équation en désignant un seul créateur, entouré de collaborateurs intermittents : le réalisateur. Lorsque Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture, a remis les insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres à Michel Ancel, Shigeru Miyamoto et Frédérick Raynal, il a procédé de même en désignant comme seul artiste le game designer. Reste que combien de jeux ont une réelle approche artistique, dans laquelle transparaît la personnalité du game designer ? Probablement une proportion comparable à celle des films du box office…
Dernier jeu commercial réalisé de A à Z (à l'exception de la musique) par un auteur unique, Another World (Delphine Software 1991), est un jeu d'aventure/action sans dialogue ni indicateur d'aucune sorte à l'écran, qui confine au chef d'œuvre. L'univers onirique de l"'autre monde" est particulièrement envoutant, et la personnalité de l'auteur, Eric Chahi, transparaît jusque dans les moindre détails. Mais combien de jeux peuvent en dire autant ?

Le problème est que faire du jeu vidéo un art, est aux yeux de ce qui le produisent une façon de se crédibiliser en rendant leur activité plus sérieuse et donc plus recommandable, d’élever le jeu vidéo au rang de 10e art à la suite prestigieuse de l’architecture, la sculpture, la peinture, la musique, la danse, la poésie ou plus récemment du cinéma, du théâtre ou de la bande dessinée. En effet, jouer est depuis Pascal un divertissement, du latin divertere = qui détourne de l’essentiel : Dieu, la vie, la réalité, le travail, etc. Mais c’est aussi refuser d’accorder un intérêt au jeu pour lui-même, fait très visible dans une production conventionnelle qui privilégie la forme sur le fond, la technologie et les graphismes au dépend du gameplay, et du même coup nier le caractère essentiel du jeu à l’homme. Caractère qu’il partage avec l’animal et qui ne montre en rien une infériorité au statut artistique, mais prouve au contraire qu’il s’agit d’une activité essentielle, vitale, indispensable à tout être évolué, activité qui précède la culture et l’a fait naître.

Le jeu vidéo est avant tout un jeu, avant d’être un art vidéo : c’est tout et rien à la fois. Ce qui me satisfait pleinement, car c’est précisément parce qu’il est futile que le jeu nous est essentiel. Et je reste convaincu e que plus le jeu vidéo s’approche de l’art, plus il s’éloigne du jeu. Au contraire de l’art, le jeu n’est pas un acte de communication mais de plaisir. Le jeu est donné à l’homme pour le consoler d’être devenu adulte.

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