Ecrit comme un roman, dont le personnage principal serait Philippe Ulrich, ce livre est un peu schizophrène, et une fois n’est pas coutume, je commencerais par les défauts. En effet, cette saga, très justement nommée, est un mélange de panégyrique doublé d’un constat effarant, à la fois admiratif et ironique, sur le manque de professionnalisme de ce métier. On sent que l’auteur a été fasciné par son sujet, au point de se faire, comme souvent dans les biographies hagiographiques, happés par les sentiments des personnages mis en scène. Il délivre donc des bons et des mauvais points en fonction du concours ou de l’opposition dont font montre les figures secondaires envers les protagonistes. David Bishop est ainsi présenté comme un « tyranneau », despote et outrecuidant, face à un Philippe Ulrich créateur exalté et visionnaire.
mardi 29 janvier 2008
La saga des jeux vidéo
dimanche 20 janvier 2008
Pour une typologie des jeux vidéo
La tentation est grande de faire un jeu qui engloberait tous les styles pour plaire à tout le monde, comme c'est la grande mode actuellement. Sauf que l'échec provient d'un manque inévitable de cohérence de l'ensemble qui en fait un fourre-tout déjanté, et donc seulement un jeu d'arcade de plus. Avec notre classification, il rentre donc dans une catégorie principale en dépit de son apparente et illusoire synthèse des genres.
- Perfectionniste (action+dépendant) : jeux de progression. Le genre emblématique est le jeu de rôle, qui offre une progression à la fois spatiale, temporelle et personnelle, mais aussi les jeux « bac à sable » qui permettent au joueur de construire un jeu à son image, ou encore les jeux de développement comme Civilisation.
- Altruiste (relation+dépendant) : jeux d’interaction. On pense immédiatement aux jeux multijoueurs en réseau et en ligne qui ont développé des interfaces de chat et de téléphonie ingame.
- Battant (relation+agressif) : jeux de compétition. Surtout les jeux de scoring et ceux qui mettent en avant la rapidité d’action, comme les FPS, type Counter Strike, mais aussi Tetris ou les jeux de combat.
- Romantique (relation+détaché) : jeux d’immersion. Les jeux qui privilégient l’expérience sur l’objectif à l’instar des jeux d’aventure ou des jeux de découverte.
- Observateur (intellect+détaché) : jeux d’observation. Les puzzles, casse-têtes et jeux de logique sont les plus à même de séduire les joueurs sensibles à ces ressorts.
- Loyal (intellect+dépendant) : jeux de simulation. Les jeux qui simulent la réalité avec un excellent rendu de la physique, comme les simulateurs de vols et les simulations sportives.
- Epicurien (intellect+agressif) : jeux d’arcade. Le fun pour le fun, donc plutôt les jeux de plate-forme ou plus largement à partie multiple, qui privilégient l’intensité plutôt que la durée.
- Chef (action+agressif) : jeux de stratégie/gestion comme les « god games » (Populous, black&white) et les RTS (Dune II, Megalomania).
- Médiateur (action+détaché) : jeux collaboratifs. Ils reposent sur l’échange et la collaboration (Pokemon), et se développent avec les jeux en ligne PvM (Diablo, Warcraft III) ou plus simplement les jeux d’équipe, de Double Dragon à Team Fortress.
mercredi 16 janvier 2008
Le monde de M. C. Escher
Escher est un dessinateur, sculpteur et surtout graveur hollandais (1898-1972). Personnage d’allure sévère et lisse, ses gravures minutieuses sont fameuses pour les principes mathématiques ou physiques qu’elles renferment. Peu prisé des amateurs d’art, sa notoriété est celle des connaisseurs, bien que le succès public de certaines de ses œuvres ne soit pas négligeable : on trouve des posters, des cartes postales et des même des calendriers Escher. Son goût presque exclusif de la monochromie et des trames, ses sujets abstraits et mathématiques, ses exécutions millimétrées, semblent parler plus à l’intellect qu’au cœur, et lui ont valu une réputation de froideur cérébrale, et d’artisan, voire de technicien, plus que d’artiste. Ce sont en effet les mathématiciens qui ont attiré l’attention sur son œuvre… c’est tout dire !
Pourtant son inspiration, la richesse et la cohérence de son monde intérieur, sont époustouflants. Lui qui répondait, comme Lovecraft, grand amateur de géométrie non euclidienne, avant lui : « Et ce n’est rien à côté de ce dont je rêve ! ». Mais Escher prend le contre courant de l’art et ramène toujours l’homme à ses limites, à lui faire chercher le mécanisme de l’illusion qui lui donne l’impression de perdre pied devant un escalier éternel, un ensemble qui se comprend lui-même ou des perspectives folles. Le réalisme de ces perspectives mensongères dont use Escher conduit implacablement le spectateur à la perte de son centre de gravité cartésien grâce à des points de fuite soigneusement biaisés. Le spectateur se retrouve ainsi à douter de ses perceptions et à approcher cet état de rêve lucide que Lovecraft jugeait supérieur à notre réalité, tout encombrée qu’elle est des contingences de la physique.
C’est précisément ce vertige de la représentation qui fait d’Escher un grand artiste, mais qui lui fait aussi mériter sa place dans notre blog, lui qui adorait Lewis Caroll et avait souligné un jour dans un livre du mathématicien J.L. Synge ces mots : « En vous proposant de méditer sur l’idée que l’esprit humain se montre sous un jour le plus favorable lorsqu’il s’amuse, je m’amuse moi-même et cela me fait sentir qu’il peut y avoir un élément de vérité dans ce que je dis. » J. L. Locher note pour sa part : « On est frappé par le fait que les spectateurs ne témoignent guère d’admiration solennelle ou d’un manque de compréhension silencieux. On voit plutôt les spectateurs rirent aux éclats devant certaines estampes, réaction concordant, généralement, tout à fait avec l’intention de l’artiste.»
Ainsi, en désacralisant l’art et en jouant avec le spectateur, Escher remplit tout à fait la fonction d’un jeu : nous captiver en nous capturant intellectuellement dans le tableau, nous rendre actif en nous poussant à résoudre notre vertige, se jouer de nos perceptions afin que nous jouions avec la composition du peintre, et surtout nous permettre de résoudre la supercherie pour que peintre et spectateur se trouvent finalement réunis dans un rire complice. Bref : mettre l’art au service du plaisir ludique et de l’imagination.
Le monde de M. C. Escher sous la direction de J.L. Locher, Le Chêne 1972, 270 pages, épuisé.
dimanche 6 janvier 2008
Le jeu vous va si bien
Enfin un livre sur le jeu qui ne se sent pas coupable de s’intéresser à un loisir futile et infantile, qui n’a pas besoin de prétexte artistique ou culturel, d’user d’un langage universitaire ou de conceptualiser à tout va en employant le grec ou le latin comme cache misère de la pensée, pour parler du jeu comme d’autres le jouent : simplement, en savourant le plaisir de réveiller en soi l’âme d’enfant qu’on avait fait taire. Comme l’auteur le dit si bien :
« L’adulte qui joue accomplit, en lui et dans ses relations, le tissage très intime d’une toile qui l’enrichit en le liant à d’autres. Outre l’enfant qu’il nourrit en lui-même et sans lequel on est orphelin d’une part de soi-même, il consolide sur ce fond de plaisir l’inestimable réseau dont nous avons besoin pour vivre. »
Cette simplicité revendiquée, mêlée de poésie et affranchie de toute référence épistémologique, lui fait toucher du doigt l’essence du jeu là où les prétendus théoriciens du jeu n’ont fait que l’effleurer de façon absconse et rébarbative. Certes, cette absence de réflexion profonde au profit d’une intuition salutaire à ses points faibles et l’auteur, très impliqué dans le processus de transmission du plaisir ludique puisqu’il est revendeur, formateur et journaliste dans le domaine du jeu, croit profondément à l’aspect éducatif du jeu, que je réfute complètement. En effet, le jeu se donne pour tel, sans autre prétention que le plaisir, et s’il y a expérience, ce n’est que celle que du plaisir ressenti et partagé, celle de l’exercice de son esprit en dehors de toute contrainte : jouer c’est avoir l’esprit en vacances.
Pour sa part, Pascal Deru ne peut s’empêcher de charger maladroitement les jeux vidéo perçus comme violents et autarciques, et d’établir une hiérarchie très contestable entre les jeux de société « positifs » d’un côté, reposant sur la collaboration, et d’autre part la majorité de la production mettant en avant des mécanismes « négatifs » comme l’élimination, la spoliation, la compétition ou l’affrontement. Il s’agit d’un raccourci très contestable, car la première fonction du jeu est cathartique et libératoire en faisant expérimenter l’interdit, l’aspect collaboratif d’un jeu apparaissant au contraire aux joueurs, le plus souvent, comme une contrainte des règles. Paradoxalement, c’est le caractère profondément humain du jeu (on dit bien « jeu de société ») qui offre les vertus justement louées par l’auteur en faisant s’affronter « pour de faux » les joueurs tout en les réconciliant « pour de vrai » autour du plaisir ludique. J’en veux pour preuve que les perdants s’en veulent généralement d’avoir mal joué, tournant leur violence contre eux-mêmes, et plus rarement contre le jeu. Le jeu, en tant que laboratoire de la violence, est définitivement un pacificateur des relations humaines.
Mais cela n’empêche nullement le livre de Pascal Deru, qui se lit comme un roman d’amour, d’être un fervent plaidoyer du plaisir ludique, et de nous pousser irrésistiblement vers les tables de jeu avec un enthousiasme communicatif, puisque preuve est désormais faite que le jeu nous va si bien. Un livre roboratif.
Le jeu vous va si bien de Pascal Deru, Le souffle d’or 2006, 300 pages, 17 €
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