mardi 28 décembre 2010

Du plaisir au jeu dans l'éthique à Nicomaque : une origine de la juste mesure

Enfin un article qui lie le plaisir au jeu, le second étant justement issu du premier. En dépit d'un vocabulaire qui fait la part belle aux néologismes (médiété, plurivocité...), de termes grecs non translittérés (exis, auxesis, boulesis, proairesis...), à fortiori non traduits (on est entre nous, et si vous n'en êtes pas, tant pis pour vous), et d'une écriture inutilement complexe, cet article fonde un rapport original et pertinent entre les deux termes.

Certes on pourra critiquer que ni les concepts de jeu et de plaisir ne sont définis, puisqu'ils ne sont pas propres à Aristote, et que le lien fondamental du jeu et du plaisir, ne serait-ce qu'étymologique, n'est même pas soupçonné, mais ici seule la philosophie d'Aristote et le concept de juste mesure sont décortiqués. Cela n'empêche nullement l'auteur de se perdre dans les méandres de considérations transversales aussi cryptiques qu'inutiles. Enfin, l'absence de toute bibliographie autre qu'en notes, nous confirme que la philosophe ignore à peu près tout de la problématique du jeu. Pourtant, en dépit de ces quelques lacunes, qui témoignent avant tout d'une démarche philosophique et non ludologique, et peut-être grâce à elles, la thèse proposée par Marie-Hélène Gauthier-Muzellec est originale et séduisante.

En effet entre le travail et le sommeil, celle-ci place le jeu qui serait donc la juste mesure de l'activité humaine, à la fois plaisante, donc reflet de la nature profonde de l'homme, et intellectuelle, donc participant à son élévation culturelle. Activité esthétique, à la fois complémentaire et à mi chemin de l'éthique et de la morale, elle permet à l'homme de se réaliser pleinement, combinant désir et aspirations : "La référence au jeu, pour la praxis, comme la référence au sommeil, pour l'activité naturelle de la vision, doivent avoir une portée argumentative non négligeable. On pourrait dire dans une certaine mesure, qu'elles placent l'homme entre le plaisir et la connaissance, l'animal et la divinité, pour tisser, au centre, une aspiration médiane, celle de la praxis, qui doit à la visée d'une norme interne de n'être pas simple mouvement, et tient du plaisir l'ancrage naturel qui ferme l'accès à l'allure circulaire de l'acte pur. Ce balancement s'interrompt un moment sur la ligne de partage, la ligne du juste milieu, qui est d'abord celle de l'humanité." (p. 62)

Un article stimulant sur les fondements de la pensée occidentale concernant l'homme et son rapport au jeu.

"Du plaisir au jeu dans l'éthique à Nicomaque : une origine de la juste mesure" de Marie-Hélène Gauthier-Muzelec, Philosophie n°60, 4e trimestre 1998, épuisé.

samedi 18 décembre 2010

L'homme en jeu

Homo Ludens de Huizinga est, honneur au pionnier, sans doute le plus critiqué des livres sur le jeu. Cet article de la revue Critique de 1969, fondée par Georges Bataille qui avait donné son point de vue sur l'ouvrage en 1951, ne résiste pas à nous donner un nouveau point de vue de l'essai du Hollandais mais, originalité, tout en le confrontant à celui de Caillois : Les jeux et les hommes. Or, une fois n'est pas coutume, la critique est faite par un spécialiste de littérature et celui-ci ne donne pas forcément l'avantage au second. 

Cette revue minutieuse compare pas à pas les principales thèses de deux ouvrages : le jeu et le sérieux, le jeu et le réalisme, le jeu et la culture... Comme c'était le cas pour l'article de Georges Bataille, Sommes-nous là pour jouer ou pour être sérieux ?, la critique est l'occasion pour l'auteur de proposer sa propre solution après avoir renvoyé dos à dos les deux auteurs. En effet, partis dans leurs considérations audacieuses, les deux essayistes perdent peu à peu de vue le jeu tel qu'on le joue, et se réveillent pour condamner d'une seule voix les formes revêtues par le jeu de nos jours... sans se rendre compte que le jeu qu'ils condamnent a non seulement une raison d'être, mais que celle-ci n'a pas été intégrée dans les généralisations sur le jeu de tous les continents et de toutes les époques qu'ils sont censés avoir décrit. Serait-ce parce qu'ayant trouvé le jeu où il n'était pas, ils n'ont pas reconnu le jeu où il existait ? Parce qu'essayant de raccrocher le jeu à la culture, ils ne s'aperçoivent pas qu'il ne la comprennent plus faute de l'avoir définie ?

Didactique, l'auteur reprend point par point en conclusion les apports de sa démarche critique en imaginant qu'on pourrait proposer une autre classification qui ne reposerait plus sur la problématique de la réalité, laquelle ne saurait être définie comme l'envers du jeu, ne pouvant  exister sans lui, de même qu'on ne peut imaginer le concept d'endroit si on n'a pas inventé celui d'envers : "Non, il n'est pas question de "gratter" l'imaginaire pour atteindre le "réel". L'un et l'autre sont inséparables et ne peuvent être saisis que d'un seul mouvement, celui qui est donné dans et par le langage _ plus généralement, dans et par les signes. Selon cette thèse, j'appellerai réalité (cette fois sans guillemets) cette globalité réelle-imaginaire que je crois insécable. Ladite réalité ne serait donc pas extérieure au jeu, le bloquant au début ou en fin de parcours, mais, bien au contraire, elle serait prise à l'intérieur du jeu. En d'autres termes, il faut qu'il y ait d'abord du jeu pour qu'il y ait de la réalité, et non l'inverse." (p. 603).

Une critique à la fois plus fidèle et plus profonde que celle de Bataille concernant des deux ouvrages fondateurs de l'épistémologie du jeu, et qui propose une autre façon de penser le jeu, en dehors des oppositions rituelles avec le sacré, le sérieux et la réalité. Appelant même de ses voeux un changement de paradigme qui, s'il est vise d'abord la littérature, n'a qu'un pas à faire pour revisiter le jeu. Intéressant et pertinent.

"L'homme en jeu" de Jacques Ehrmann, Critique n°266, 1969, p. 579-607, épuisé.

vendredi 3 décembre 2010

Sommes-nous là pour jouer ou pour être sérieux ?

Suite à la parution de la traduction française de l'essai Homo Ludens de Johann Huizinga en 1951 chez Gallimard, Georges Bataille en fait le compte rendu dans la revue qu'il a fondée, Critique n°49 de la même année. Il s'agit cependant moins d'une critique de l'essai de l'historien hollandais que de l'exposition des thèses chères à Bataille à propos du sacré, de l'art, de la corrida, de la mort et de la pensée de Hegel. Seul le début de l'article est réellement une revue des positions de Huizinga : le jeu global et son rapport au sérieux, qui permet à l'auteur de digresser vers ses propres préoccupations.

Cela ne l'empêche pas de résumer avec acuité l'apport de Huizinga : "Je crois que, sur ce point, Huizinga apporta la note exacte : c'est la catégorie du jeu qui a le pouvoir de rendre sensible la capricieuse liberté et le charme animant les mouvements d'une pensée souveraine, non asservie à la nécessité. On ne saurait mieux préciser le rapport de la souveraineté et de son expression authentique que ne fit Huizinga, disant : "cette sphère du jeu sacré est celle où l'enfant, le poète et le primitif se retrouvent comme dans leur élément." (p. 104).

Mais l'intérêt de la pensée de Bataille sur le jeu tient principalement à sa capacité à mettre en résonance sa critique avec sa grande culture, en particulier lorsqu'il cite Platon, inscrivant l'essai du hollandais dans une filiation de pensée stimulante, qui en décuple la portée : "Il faut, disait Platon (Les lois, VII, 803), traiter sérieusement ce qui est sérieux, et c'est Dieu qui est digne de tout le sérieux béni, tandis que l'homme est fait pour être un jouet de Dieu. Aussi chacun, homme ou femme, doit passer sa vie à jouer les jeux les plus beaux conformément à ce principe, et au rebours de son inclination actuelle... Quelle est alors la juste manière ? Il faut vivre la vie en jouant certains jeux, sacrifices, chants et danses, pour gagner la faveur des dieux, pouvoir repousser les ennemis et triompher dans le combat." (p. 103-104).

Pour le reste, le jeu n'est clairement pas au centre des préoccupations de Bataille, mais plutôt un tremplin vers d'autres réflexions. Un article intéressant donc, mais pas indispensable.

Sommes-nous là pour jouer ou pour être sérieux ? de Georges Bataille (1951), Oeuvres complètes volume XII : Articles II 1950-1961, Gallimard 1988, p. 100-125.

mercredi 24 novembre 2010

Le jeu : essai de déstructuration

Dans la veine de l'excellent ouvrage de François Pingaud, Le jeu-projet, Jean-Louis Harter propose de décomposer la notion de jeu afin de mieux la cerner. Musicologue, féru de philosophie, son approche est forcément originale et décomplexée. Loin du langage de spécialistes et du jeu théorique, son approche est directe et concrète. Empruntant au mathématicien René Thom sa théorie des catastrophes, il l'applique au phénomène ludique avec beaucoup de pertinence :

"Le désir tend à Halluciner son objet, disait Freud ; Thom radicalisera : le prédateur affamé est sa proie. (...) la fin d'une partie se confond avec une telle catastrophe de prédation : à ce moment l'incertitude se fige, et le joueur gagne - ou perd - soit directement, contre un autre partenaire, soit indirectement, contre certains éléments pertinents de la situation ludique. Bref, le joueur mange ou est mangé, et comme après cela il n'y a plus rien à gagner - ou plus rien à perdre -, il n'y a plus de jeu." (p. 36).

On peut cependant regretter que les intuitions audacieuses de l'auteur côtoient une référence indéfectible aux catégories contestables de Caillois, et que certaines réflexions soient lapidaires. De même plusieurs références à la philosophie de Kant ou de Derrida sont incompréhensibles au non initié, et la fin de l'ouvrage est moins convaincante que ses prémisses. Pourtant, en à peine 150 pages, Harter apporte un regard novateur et partages ses réflexions sur le jeu avec un enthousiasme réjouissant.

Une pensée rafraîchissante, à la fois informée et originale. Un ouvrage chaleureusement recommandé.

Le jeu : essai de déstructuration de Jean-Louis Harter, L'Harmattan 2002, 154 pages, 13.75 €.

jeudi 18 novembre 2010

Le roi des échecs

Première oeuvre de l'écrivain chinois A cheng, cette nouvelle fut un événement à sa sortie en Chine, davantage pour des raisons politiques semble-t-il que littéraires : cette nouvelle prônait le retour aux racines en mettant en avant l'ancienne culture et les vertus du yin et du yang. Le héros est un "fou d'échecs" envoyé en rééducation politique à la campagne pendant la révolution culturelle. Il joue comme il mange, avec passion et voracité, aussi devient-il naturellement l'ami du narrateur, cuisinier et conteur, qui est donc son pendant et son faire-valoir. L'un tout à sa passion, le second en retrait mais qui offrira la consécration au premier.

En dépit du succès rencontré par ce conte, l'écriture est assez maladroite, même si la traduction peut y avoir sa part. Présenté d'entrée de jeu comme un génie des échecs, le héros traverse le récit comme un ovni, l'insistance sur sa façon peu conventionnelle de dévorer et sur son ignorance de tout ce qui ne touche pas aux échecs parachevant son caractère hors norme. Dès lors la compétition finale surprend tant elle est prévisible. Certes on perçoit la volonté de l'auteur de louer une ancienne forme de jeu, perçu comme un art, contre la moderne qui est devenue un métier, de même qu'une certaine philosophie de vie contre un système inique. Mais la progression de la nouvelle est hétéroclite, la fin en apothéose apparaissant curieusement malvenue dans un récit qui prône simplicité et dévouement.

A l'exemple par exemple de cette réflexion du narrateur au fou d'échecs : "Si tu trouves que tout va bien à quoi bon continuer à jouer ? C'est superflu de jouer aux échecs non ?
Il se frotta le visage, tenant sa cigarette en l'air :
_ Je suis un passionné d'échecs. Dès que je joue j'oublie tout. Quand je suis absorbé par une partie je me sens bien. Je peux jouer mentalement, sans échiquier ni pièces. Je ne gêne personne. (...) 
_ C'est bien de pouvoir jouer aux échecs, dis-je en soupirant. Quand on a lu un livre, on ne peut pas toujours le repasser dans sa tête. On a toujours envie d'en lire un nouveau. Les échecs ses mieux , on peut s'amuser à essayer différentes stratégies." (p. 38-39)

C'est sans doute une évidence, mais c'est aussi la clef de la fascination du narrateur pour le joueur, et de la passion dévorante, insatiable, de ceux hantés, comme le fou d'échecs, par le jeu. Celui-ci ne s'arrêtant jamais, chaque partie n'étant qu'une étape vers une degré supérieur de maîtrise. 

Un conte agréable et sans prétention.

Le roi des échecs de A Cheng, in Les trois rois, Editions de l'aube 1994, p. 7-86, 9 €.

mardi 9 novembre 2010

L'empire en jeux

Les ouvrages sur les jeux dans l'empire romain ne sont pas légion, et celui-ci, publié en 1984, fait partie des plus récents. Malheureusement, comme nombre d'ouvrages avant lui, il ne concerne que les ludi, c'est-à-dire les jeu publics et n'aborde pas les jeux privés. D'autre part, bien que publié par le CNRS, il ne comprend aucune bibliographie, aucune information sur l'auteur en quatrième de couverture, et les notes sont reléguées en fin d'ouvrage, ce qui est difficilement admissible pour un ouvrage scientifique. 

Quant à la forme, la langue employée, à la fois jargonnante et relâchée, qui multiplie incises et subordonnées, est à la limite du correct et particulièrement lourde. L'auteur présente tous les travers de l'historien besogneux : le détail occulte la vue d'ensemble, nombre de références à des faits non explicités sont incompréhensibles, les redites, faute de problématique, sont légion, et on ne perçoit aucune progression dans le développement, la conclusion ce contentant d'entériner ce qui a été postulé en introduction. Enfin on cherchera en vain des références aux apports des prédécesseurs, à fortiori la discussion avec eux, et les jeux funéraires sont pratiquement passés sous silence, alors que la reprise de la thèse du sacré comme origine et creuset des jeux publics constitue l'un des axes d'analyse de l'ouvrage.

Mais si on fait abstraction de la syntaxe toute personnelle de l'auteur et de la confusion de sa pensée, certaines réflexions sont dignes d'intérêt : "Les jeux s'imposent donc comme pratiques de persuasion, comme pratique éminemment efficace sur les contradictions en tant que cadres privilégiés de continuité, dans la régularité même de leurs cycles, et comme le meilleur outil susceptible d'assurer le renouvellement des pratiques et des conceptions religieuses sur la base des traditions, qui ne peuvent être raisonnablement conçues comme vides de sens. Tout le rituel, toute la liturgie, tout le fonctionnement des jeux comme pratique efficace dans la reproduction de la communauté s'inscrivent là-contre." (p. 151). Ainsi, à la fois perpétuation des rites originels et refondation de la communauté, les jeux sont le symbole de la transgression tout en réaffirmant le cadre inaltérable de la structure sociale de l'empire. Cette contradiction, inhérente au principe ludique, devient l'instrument de l'édification du peuple romain et l'expression de la romanité même. C'est dire l'importance capitale des jeux dans la société antique. 

C'est sans doute le principal mérite de l'ouvrage que de le souligner et de le démontrer.

L'empire en jeux : espace symbolique et pratique sociale dans le monde romain de Monique Clavel-Lévêque, CNRS éditions 1984, 228 pages, épuisé.

dimanche 31 octobre 2010

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme

Si Le joueur d'échecs est l'un des romans les plus célèbres ayant pour thème le jeu, on oublie souvent que Zweig est l'un des rares auteurs à avoir également traité le démon du jeu, celui de l'adrénaline et du risque, sous le couvert de la passion amoureuse dans un roman au titre moins explicite : Vingt-quatre heures de la vie d'une femme

Une vieille anglaise se confie au narrateur parce qu'il paraît moins soucieux de l'étiquette et de la moralité mondaine que d'autres pensionnaires d'un hôtel de la Côte-d'Azur. Sa confidence est celle d'une passion amoureuse qu'elle noua pour un joueur dévoré, pour sa part, par la passion du jeu. Ces deux être qui se découvrent passionnés à leur insu, rapprochés par leur souffrance muette et complice, sont tous les deux entraînés vers leur malheur, chacun renvoyant l'autre à son propre vide intérieur. Le rapprochement de ces deux dérèglements passionnels, dans leurs affres et leur évolution, montrent toute la fragilité de la condition humaine. Mais inversement, dans leur beauté et leur abandon, retranscrite par une écriture d'une élégance rare, ces passions en montrent aussi la grandeur.

La passion du jeu est essentiellement décrite de l'extérieur, avec le parti pris très original de s'attacher aux mains, pour lesquelles la narratrice avoue une obsession. En effet, quoi de mieux de prendre une partie, à la fois inexpressive et préhensile, du corps pour en exprimer les tiraillements et les hésitations : la passion est ce qui reste caché en ne cessant jamais de tenter de s'affranchir. La fascination de la narratrice pour ce joueur qui vit mille sensations, mille vies en un instant tandis que la boule tourne, quand elle-même n'est pas libre de vivre la seule dont elle dispose. Le jeu seul rend vivant quand la réalité endort, atrophie, emprisonne. Pourtant ce jeu, qui se substitue de plus en plus complètement à son carcan finit par phagocyter la seule véritable vie dont les personnages disposent. L'un se sauvera à temps mais amputé de sa part de rêve, l'autre disparaîtra avec elle.

Roman sur la passion, Vingt-quatre de la vie d'une femme oppose l'artificialité du jeu à la sincérité de l'amour, et s'il en montre les affres, il en fait pourtant notre seule raison de vivre. Une très belle réflexion, tout en subtilité.

Vingt-quatre heures de la vie d'une femme (1927) de Stefan Zweig, Le livre de poche 2010, 159 p., 4.50 €

jeudi 21 octobre 2010

Jeu et philosophie


En 1979 paraissait pour la première fois, dans la Revue de métaphysique et de morale l'article d'un philosophe québécois intitulé "Jeu et philosophie". Bien que dépourvu de bibliographie, on y retrouve l'influence évidente de Huizinga, de Caillois et de Fink. Ainsi la comparaison, comme si elle allait de soi, du jeu et de la chasse, de la magie ou du combat, sans se poser les limites de la sphère du jeu, est typique du premier. Quant aux suivants, cités nommément, leur thèse est discutée dans l'article.

Postulant une définition poreuse à partir de celle de Caillois, le jeu est une "activité réglée autonome", cet essai ne fait qu'établir le jeu dans ses caractéristiques mais non dans son essence (où est le plaisir ?). Ainsi la promenade est un jeu pour Gilbert Boss... même si on a du mal à percevoir en quoi il s'agit d'une activité réglée. D'autre part, si le point de départ de la réflexion du philosophe est l'épistémologie ludique, il semble que celui-ci n'ait pas poussé bien loin ses investigations et le sérieux est ainsi posé comme l'opposé du jeu sans plus de justification, si ce n'est que c'est quelque chose d'évident.

Et c'est sans doute le principal reproche qu'on peut faire à la réflexion philosophique et à celle-ci en particulier : reposant sur la seule progression de la pensée de l'auteur, que l'une des étapes de ce questionnement soit fausse, surtout lorsque celle-ci arrive tôt dans l'argumentaire, et toute la réflexion qui en découle en est affectée. Or le manque de rigueur d'une pensée, qui tour à tour balaie d'autorité l'opinion étayée d'un prédécesseur, ou ignore crânement ce qui a été écrit sur le sujet pour fonder un raisonnement à l'emporte-pièce, tout en se présentant comme une vérité objective et indubitable, agace autant qu'il ennuie.

Pourtant, comme le livre plus récent de Colas Duflo Jouer et philosopher, l'article a les qualités de ses défauts. Il interpelle le lecteur par une pensée originale, même si c'est parfois au prix d'insuffisances dans le raisonnement et de lacunes dans la documentation : "...le jeu vient se fondre dans la magie. Outre la présence possible du vertige, combien de caractères se révèlent communs aux rites et aux jeux ! Dans les deux l'action est refermée sur elle-même, souvent précisément limitée dans le temps et l'espace, liée à la fiction et prête à accorder à l'imagination une importance que le sérieux ne lui laisserait pas. Dans la magie comme dans le jeu, chaque acte dépend de règles particulières, dont la transgression annihilerait aussitôt l'atmosphère spécifique, ludique ou magique, de l'action." Ce qui est une intuition philosophique joliment exprimée, que corrobore en outre l'origine sacrée du jeu... même si le mot réel semblerait plus approprié ici que celui de sérieux.

Réédité en 2006, l'ensemble aurait mérité d'être amendé, même s'il n'en reste pas moins digne d'intérêt.

"Jeu et philosophie" de Gilbert Boss in Explorations et inventions : I. Lieux philosophiques, Editions du Grand Midi 2006, p. 8-42. Lisible en ligne sur http://books.google.fr/books?id=dSX0EDEIJ5UC&printsec=frontcover&dq=gilbert+boss+lieux+philosophiques&hl=fr&ei=DJS6TKeUDMyfOuqY5dYM&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=1&ved=0CC0Q6AEwAA#v=onepage&q&f=false

vendredi 1 octobre 2010

Bal masqué


L'une des plus célèbres oeuvres de la littérature russe mettant en scène des joueurs, cette pièce de théâtre est le pendant dramatique de la comédie de Gogol, Les joueurs. Ecrite en 1835 par un auteur âgé de 21 ans seulement, il s'agit d'une oeuvre romantique sombre, où le héros maudit est logiquement un joueur qui, s'étant joué du hasard sa vie durant est finalement rattrapé par son destin. Comme toujours dans la littérature russe, si les personnages sont immoraux, le récit est moralisateur et donc désespéré : 

Le prince : 
            L'honneur, ô rendez-moi l'honneur, et je me jette 
            A vos pieds ! Où est mon honneur ? 
            Mais rien n'est donc sacré pour vous ? Vous êtes 
            Un homme ou un démon ? 
                                  Arbénine : Moi ? - Un joueur ! (p. 195)

Le jeu n'est certes pas l'élément central de la pièce, mais il en constitue le fil rouge par la tache indélébile par laquelle il marque le héros. Arbénine, joueur pénitent, est une personnalité rattrapée par les faux semblants de son ancienne vie, qu'un bal masqué inopiné fait remonter à la surface, où les masques sont les reflets de la personnalité et de l'existence, offrant l'amour au prince désabusé et le retirant à Arbénine. En outre, c'est parce qu'il est un tricheur que le héros ne peut croire ceux qui l'entourent, finissant comme annoncé par succomber à son propre péché :

Ne tremblez pas quand vous tombez sur vos égaux, 
Craignez sans fin la fin honteuse de la chance
Et ne rougissez pas quand on vous lance :
"Salaud !" (p. 114)

Une pièce plus convenue que celle de Gogol, mais agréable et joliment traduite en vers par André Markowicz.

Bal masqué de Michel Lermontov, in Un homme étrange - Bal masqué - Deux frères, José Corti 1998, p. 103-235.

vendredi 24 septembre 2010

Jeux finis, jeux infinis

Ecrite comme une suite de 101 pensées numérotées, cette réflexion originale permet à l'auteur de bâtir un raisonnement à partir de postulats... qui le restent malheureusement. Et le goût de James Carse pour les pirouettes verbales, parfois réussies, lasse rapidement. Le chapitre un commence ainsi :  "Un : il y a, somme toute, deux sortes de jeux. Les uns peuvent être dits finis, les autres infinis. Un jeu fini se joue pour gagner, un jeu infini pour continuer à jouer." C'est amusant mais ce n'est pas une démonstration, et c'est en outre contestable. En effet, quelques pensées plus loin, l'auteur nuance : "Il y a nombre de jeux où l'on entre sans espérer gagner, mais on y lutte pour la meilleure place possible."On le sent bien : tant que le lecteur adhère au discours de l'auteur, la progression de la pensée y trouve un soutien, mais dès que l'on commence à douter de postulats qui servent ensuite d'arguments pour les maximes suivantes, la lecture devient rapidement pénible.

Or non seulement l'essai s'affranchit de toute note infrapaginale, de toute référence bibliographique, mais au mieux l'exemple remplace l'argumentation, au pire la vérité est assénée sans légitimation. Or on devine, à des comparaisons insistantes entre le jeu et la guerre, l'influence pour le moins datée en 1988 de Huizinga. L'auteur trahit en outre son intérêt exclusif pour le jeu infini (de l'existence) qui le conduit à délaisser rapidement et complètement la première partie de la thématique : les jeux non métaphoriques. Les derniers chapitres n'ont alors plus rien à voir avec le jeu le qu'on le conçoit et sont des réflexions métaphysiques sur la sexualité, la philosophie ou la religion chrétienne, pour lesquelles l'auteur présente une pensée tout ce qu'il y a de conformiste. La réflexion tourne alors à vide et on ne peut qu'acquiescer avec déception à la dernière pensée : "Ceci n'est qu'un jeu infini". Et de nous sentir floués.  

Quelques réflexions néanmoins intéressantes, mais trop vite noyées dans un flot de considérations  lapidaires et souvent hors sujet.

Jeux finis, jeux infinis : le pari métaphysique du joueur de James P. Carse, Seuil 1988, 185 pages, épuisé.

dimanche 19 septembre 2010

Le jeu des perles de verre

Pavé qui a valu à son auteur le prix nobel de littérature en 1946, Le jeu des perles de verre est une utopie, même s'il s'agit de notre monde, et une uchronie, même si l'on sent gronder la menace de la guerre. Il dépeint une caste (le nom du pays est d'ailleurs traduit par Castalie) entièrement dévouée à l'étude et dont le jeu des perles de verres constituerait l'art suprême. Ce jeu, dont on ne connaîtra jamais les règles, mêle mathématiques, physique, philosophie, musique et linguistique, les sciences et les arts majeurs pour Hesse, en un mélange de créativité et de contemplation, qui remplirait l'âme des joueurs et des auditeurs de paix et de perfection. 

Si l'écriture est fluide, le récit à la troisième personne d'un maître des jeux, qui tient plus du saint homme que du héros romantique, en fait un roman édifiant et froid comme une cathédrale. On se sent d'autant plus étranger à cette utopie que la Castalie n'est pas plus accueillante que le reste du monde, et la pratique de ce jeu sublime n'empêche ni les coup bas ni les luttes de pouvoir intestines dans le petit état. Dès lors cette occupation apparaît vaine et superficielle, voire décadente. Bâti comme un rapport hagiographique d'intimes sur le héros principal Joseph Valet, le livre rassemble en outre, dans une ultime partie, ses écrits, sorte de vies antérieure du saint homme. Mais l'ensemble reste purement intellectuel et on se sent bien indifférent à cet idéal d'élitisme que décrit l'auteur.

Concernant le jeu, celui-ci est seul à même de sublimer "la précarité de tout résultat et le caractère problématique de toute création de l'esprit humain" (p. 359). En effet ce jeu supérieur réunit la sagesse orientale servie par une hiérarchie et des rites ecclésiastiques, il transcende les sciences et les arts en un tout harmonieux qui est à la fois un jeu solitaire et un acte de communion universelle, tout la fois spiritualité profane et joie religieuse, symbolisant la perfection de l'esprit humain détaché des contingences du monde. Le caractère ludique est le gage d'un constant renouvellement, d'un savoir qui ne doit jamais se reposer sur de l'acquis, donnant ainsi la première place à la créativité, à la révélation de la personnalité des joueurs et à leur communion avec l'univers.

Le jeu comme solution des arts et des sciences... beau programme, n'est-ce pas ?

Le jeu des perles de verre de Herman Hesse, Librairie Générale Française 1999, 693 pages, 8 €.

jeudi 2 septembre 2010

Manuel d'ethnographie

Marcel Mauss, qui a été le professeur des plus grands ethnologues, n'a jamais écrit ce manuel, celui-ci est le produit du rassemblement par ses élèves de notes de cours. Ses leçons avaient pour but de former pas seulement des ethnologues mais aussi les missionnaires et les cadres coloniaux afin de participer à l'amélioration de la connaissance des sociétés primitives et à travers elles des "faits sociaux totaux", c'est-à-dire de ceux qui constituent le ciment de notre société. Et les jeux, en ce qu'ils relèvent de l'esthétique (chapitre 5), ont droit à leur notice.

Le style de ce manuel est donc à la fois hétéroclite et contradictoire. Mauss confie davantage des règles et des missions que des enseignements : ce qu'il faut observer et ce qu'il faut savoir au préalable pour mener à bien une observation, et pose plus de questions qu'il n'en résout. Par exemple : "L'un des meilleurs critères pour distinguer la part d'esthétique dans un objet, dans un acte, est la notion aristotélicienne, la notion de theoria : l'objet esthétique est un objet qu'on peut contempler, il y a dans le fait esthétique un élément de contemplation, de satisfaction en dehors du besoin immédiat, une joie sensuelle mais désintéressée." (p. 126). Ceci afin d'identifer où peut se nicher le jeu. Un peu plus loin il affirme que ce qui différencie le jeu de l'art est le sérieux, avant de dire qu'il y a du sérieux dans les jeux. Et après avoir associé le jeu à l'art dans l'esthétique, où le beau est lié au plaisir qu'il procure, il les dissocie : "Les arts se distinguent du jeu par la recherche exclusive du beau qu'ils impliquent. Toutefois, la distinction entre jeux et arts proprement dits ne doit pas être tenue pour absolument rigide." (p. 137-138).

Ces repentirs continuels pourraient agacer chez un autre auteur, ils sont ici la preuve des multiples formes que peut revêtir cette vérité en formation, qui se montre indissociable du regard de l'observateur. Et c'est sans doute ce qui est le plus admirable chez Mauss : il ne propose pas des réponses définitives mais les cadres nécessaires à l'élaboration d'une pensée essentielle sur le sujet, il apprend tout simplement à observer, mieux, à voir. C'est bien le meilleur service qu'un spécialiste tel que Mauss, qui sait ce qu'il faut chercher, peut nous rendre. Toutes les grandes problématiques du jeu sont abordées dans cette présentation, libre à l'ethnographe de les agencer comme bon lui semble, voire de prendre de ses distances avec elles... mais pas de les ignorer. 

Un livre étonnant, qui communique une furieuse envie de se plonger dans la recherche... et donne un aperçu de  l'impact qu'a dû avoir ce fondateur de l'ethnologie sur ses étudiants. Remarquable.

Manuel d'ethnographie de Marcel Mauss, Payot 2002, p. 125-139, 10 €

samedi 28 août 2010

Penser la création comme jeu

Voici un livre inattendu sur notre passion, puisqu'il s'agit d'un essai théologique. L'homme a toujours considéré Dieu comme Seigneur, c'est-à-dire maître de la création qu'il offre à l'homme pour qu'il étende sur elle son empire. Penser la céation comme jeu c'est proposer un autre rapport à la foi et au monde, fondé sur la liberté, la joie et l'incertitude, où Dieu est le seul point d'ancrage.

A vrai dire les fondements bibliques de cette thèse sont très minces, puisque la seule mention d'un Dieu qui joue se trouve dans quelques versets des Proverbes. Quant à la patristique et aux théologiens, ils ne sont pas nombreux à avoir commenté ce passage ou traité le thème, et encore seulement de manière sporadique. C'est peut-être en cela que réside la faiblesse d'un essai bien long (près de 400 pages) pour expliquer, parfois assez lourdement faute de sources venant à l'appui de cette thèse, la légitimité de cette vision. En outre, malgré une langue simple, certains thèmes n'intéresseront que les croyants, comme de débattre s'il est possible d'admettre un dieu transcendant si le jeu est immanent. Enfin il est étrange que d'autres passages de la Bible, où le champ lexical du jeu est usité, soient passés sous silence, alors que le mépris dont le terme est empreint aurait mérité d'être commenté.

Plus intéressante est la volonté de replacer la pensée du jeu dans l'histoire de la théologie, y compris en la confrontant à la pensée classique ainsi qu'à la pensée scientiste contemporaine, voire en la rapprochant avec lucidité du spiritualisme. Mais c'est quand François Euvé pointe notre réticence culturelle à accorder au jeu une place dans notre société, que son essai est le plus fécond : "De son côté, le jeu, à bien des égards, relève de la catégorie du beau : il ne cherche à manifester ni le vrai (logique), ni le bien (éthique). Il est pénétré de rythme et d'harmonie, "les plus nobles dons de la faculté de perception esthétique qui aient été accordés à l'homme."" (p. 270) plaidant ainsi plus efficacement pour un rapprochement du jeu et de l'art que bien des ouvrages traitant du sujet. Ces réflexions s'appuient en outre sur une épistémologie originale, qui sort des sentiers battus, la bibliographie de l'ouvrage valant a elle seule le parcours.

Une réflexion intéressante, informée, minutieuse, mais plus académique qu'on aurait pu l'espérer sur un tel sujet. Ou comment la forme aurait gagné à épouser le fond.

Penser la création comme jeu de François Euvé, Cerf 2000, 408 pages, 32 €.

jeudi 12 août 2010

Comparer l'incomparable

Sous un titre provocateur ce petit essai est moins un manuel qu'un pamphlet : les historiens qui ne sont pas des comparatistes sont forcément des nationalistes. Etrange façon d'essayer de convaincre des universitaires d'une autre spécialité en les traitants de fachistes. Mais heureusement les historiens ne sont pas les seules cibles et les comparistes-qui-ne-le-sont-plus (Moses Finley, Jean-Pierre Vernant) sont des traitres, tandis que les hellenistes qui se désintéressent de la question (Jacqueline de Romilly) sont des historiens du dimanche (comprenez des fachistes qui s'ignorent). Marcel Detienne, dans un style d'une pédanterie rare, a donc un mot gentil pour chacun.

Pas une seule seconde il vient à l'idée de l'auteur qu'il n'a peut-être pas compris que les historiens n'ont pas pour but d'expliquer le présent à l'aune du passé, en dépit de ce qu'il affirme, et que leurs méthodes leur interdisent de fait le comparatisme, aussi ne savent-ils pas trop quoi en faire. Un peu comme si on reprochait aux musicologues de ne pas faire de mathématiques ou aux sociologues de ne s'intéresser qu'à la société. Comme quoi on peut être pétri de culture hellénistique et ne pas comprendre la différence entre un historien et un anthropologue, ni imaginer que si l'histoire n'est pas de l'anthropologie, c'est qu'il y a sans doute une raison.

Pire : de la méthode comparatiste qui-n'est-surtout-pas-de-l'analogie-ni-de-la-généralisation on ne saura presque rien, à part qu'elle n'en est pas, et des exemples donnés on ne verra que des confrontations de situations disparates (comprenez des analogies) qui permettent d'extraire des microsystèmes (comprenez une généralisation). Mais heureusement l'auteur n'insiste pas, il risquerait de s'apercevoir qu'en trente ans d'exercice il n'a pu dégager de méthode solide à nous communiquer. En tout cas cela ne l'a visiblement pas empêché d'en faire un livre, ni son éditeur de le rééditer.

Si vous cherchez une réflexion originale sur la façon de penser la culture à travers les époques et les lieux, je vous conseille plutôt Comment penser sur un matériel ethnologique (dans le tome 1 de Vers une écologie de l'esprit) de Gregory Bateson qui, sur un même sujet réussit en dix fois moins pages à en dire dix fois plus, et ce 60 ans avant notre auteur. Même si cela revient à comparer l'incomparable.

Comparer l'incomparable de Marcel Detienne, Seuil 2009, 188 p., 8 €

dimanche 1 août 2010

Jeu et éducation

Sous un titre peu vendeur, se cache sans doute la meilleure analyse sociologique que j'ai lue à ce jour sur le jeu. Comme quoi ce n'est pas forcément quand l'auteur se réclame de cette discipline ou que c'est marqué dessus que c'est forcément intéressant. Si le début pouvait laisser craindre le pire, puisque coup sur coup Gilles Brougère nous explique, citations à l'appui, qu'une définition réduit le réel (la belle affaire), que la vérité existe (ah mince, et ça ressemble à quoi ?) et que définir le jeu est impossible (comprenez  : je n'y suis pas arrivé, donc c'est impossible). Ce qui n'empêche heureusement pas l'auteur de poser en conclusion sa propre définition du jeu, et même de déclarer : "Qui veut produire un discours scientifique doit construire son concept de jeu", comme quoi il a bien fait d'écrire ce livre, même si encore une fois, analyser le jeu à travers les circulaires pédagogiques, comme il le fait sur 200 pages, est plus pertinent après l'avoir défini qu'avant...

Voilà pour les défauts. Passé ce faux départ, G. Brougère prend le parti d'observer le jeu non tel qu'il est pratiqué dans les écoles, mais tel que l'état prétend qu'on l'y pratique, du moins qu'on devrait l'y pratiquer, et ce depuis deux siècles. Ce qui est passionnant c'est que le ministère n'est pas avare de justifications et d'explications : on peut ainsi observer comment il est possible de mettre en place une éducation par le jeu en contradiction avec la théorie qui prétend expliquer celle-ci. Et comment ceux qui sont chargés de l'appliquer défendent un système qu'on leur a vendu mais dont il ne comprennent pas la finalité... qu'ils sont pourtant chargés de développer. Loin de jeter l'opprobre sur la profession d'instituteur, cette analyse éclaire par ricochet l'attitude ambivalente de toute une société face au jeu : "Les jeux de l'enfance reflètent indubitablement les idéaux de la société adulte ; et le jeu est un processus de socialisation qui prépare l'enfant à prendre sa place dans cette société." (Bruner cité par Brougère, p. 254). 

A rebours d'autres ouvrages, Brougère juge peu, bien qu'on devine sa position, ce qui permet pour une fois au lecteur d'y trouver et d'y piocher peut-être plus que l'auteur n'y a mis, tant ses exemples sont riches et pertinents, comme c'est le cas dans cette conclusion du lien entre jeu et éducation, toujours empruntée à Brunner (p. 257) : "Le jeu libre donne à l'enfant une première possibilité absolument déterminante d'avoir le courage de penser, de parler et peut-être d'être vraiment lui-même." Comme quoi la sociologie du discours est parfois plus féconde que celle de l'observation... Ecrit simplement, sans fioriture, citant abondamment ses sources, laissant le lecteur analyser tout en le guidant dans sa propre réflexion, ce livre formateur donne à comprendre plus qu'à juger. Une belle leçon de pédagogie, où le moins vaut le plus. Et un livre essentiel sur le jeu tel qu'on le pense.

Jeu et éducation de Gilles Brougère, L'harmattan 1995, 284 p., 26.50 €.

mardi 20 juillet 2010

Comment parler de la société

Quelques années après Les ficelles du métier, Howard Becker remet le couvert, et tente, sans forcément y arriver, d'élargir cette fois son propos à l'ensemble des sciences sociales. Plus réaliste, il abandonne toute ambition de plan, et ne livre la plupart du temps que des analyses sans conclusions, laissant au lecteur, en vertu du principe de neutralité, se faire sa propre idée de la question. Comme il s'agit de cours juxtaposés on trouve également nombre de redites. Si on apprécie l'apparente honnêteté intellectuelle de l'auteur qui ne dissimule pas son résultat (ce sont des cours des années 80, ce n'est pas classé, j'ai laissé le lecteur libre de ses interprétations) ni sa méthode (cette étude a été refusée par tous les comités scientifiques), on a inversement l'impression qu'il nous donne à lire un énième brouillon de la synthèse qu'il n'arrive pas à écrire sur le sujet. Et l'on reste davantage dans l'anecdote, l'exemplification et le plaidoyer que dans la science. 

Ainsi l'auteur prétendait dans Les ficelles du métier, son ouvrage précédent, qu'un problème en sociologie est un problème pour toutes les sciences sociales, force est de constater que c'est loin d'être le cas. Ainsi l'un des axes du livre déplore que les sociologues soient contraints de ne pas utiliser de nouvelles représentations sous peine que personne ne fasse l'effort de les comprendre : "Les fabricants de représentations ont beau faire, si les utilisateurs ne remplissent pas leur rôle, l'histoire n'est pas racontée, ou bien elle n'est pas racontée comme les premiers l'avaient prévu." (p. 296). La réponse des cogniticiens est pourtant simple : si le lecteur ne comprend pas, c'est que c'est incompréhensible. Il faut donc simplement que la représentation soit acceptable, utile et utilisable pour ceux à qui l'on s'adresse, car à quoi sert de faire mieux si l'on ne sait pas au moins se faire comprendre ? Et c'est sans doute pour cela qu'il existe des représentations types... que critique (in)justement Becker.

Pourtant Comment parler de la société, en introduisant la fiction comme un objet sociologique, ouvre une piste à la fois originale est intéressante, étayée par des exemples très pertinents, comme celui de la fiction La monnaie du pays de David Antin. Et rien que pour cela le livre de Becker vaut la lecture. Pour le reste, le titre apparaît davantage comme une question angoissée, voire un constat d'impuissance posé par un auteur désemparé, s'apercevant sur le tard que la sociologie n'a pas le monopole de la société, et que ce n'est pas forcément elle qui en parle le mieux : "Perec décrit l'ordinaire, le quotidien. En fait, au fur et à mesure que j'essaie de rendre accessible ce qu'il a fait dans ce petit livre, je me trouve de plus en plus muet, comme si pour le décrire que répéter et énumérer ce qu'il a déjà écrit, et ceci n'a guère d'utilité. A lire les descriptions de Perec, on succombe au sentiment envahissant qu'il s'agit là de quelque chose de très important, mais sans bien savoir quoi." (p. 272). Encore une fois, on ne peut s'empêcher de penser que soit c'est honnête et le chapitre aurait dû être réorganisé, soit il faudrait sérieusement que le sociologue se (re)mette au travail. A moins que celui-ci n'ait réellement plus rien à nous apprendre ?

Comment parler de la société de Howard Becker, La découverte 2009, 316 pages, 24 €.

lundi 12 juillet 2010

Jeux de l'humanité

S'il n'était sous-titré : "5000 ans d'histoire culturelle des jeux de société" mais plutôt "A travers les collections du musée suisse du jeu", cet ouvrage ne serait pas aussi décevant. Evoquer le jeu ne suffit pas à en faire une histoire culturelle, surtout quand on s'intéresse davantage à l'objet qu'à l'activité. Tranchons une ambiguïté : on en apprend davantage sur les années de parution, les éditeurs, la fabrication, l'origine économique, les brevets d'invention, les procédés d'impression que sur les auteurs de jeu, les écoles de conception, le contexte culturel de leur élaboration, les filiations, l'impact des jeux sur l'éducation, les idéologies qu'ils véhiculent, leur inscription dans le contexte culturel de l'époque, les motivations qu'il induisent, le plaisir qu'ils suscitent.

D'autre part la cible d'un tel ouvrage n'est pas clairement définie. On imagine les visiteurs du musée suisse comme étant d'abord les familles, on est ici dans un propos de spécialistes malgré l'absence de toute note infrapaginale ou de sources précises. Ainsi on peut lire une allusion aux principes de "F. Froebel" sans avoir la moindre précision sur sa théorie du "jardin d'enfants" ni même sur le fait qu'il s'agit d'un important pédagogue allemand. Et ce alors même qu'aucune contribution, à ma connaissance, n'émane d'un universitaire. On a l'impression malheureuse d'en avoir les défauts sans les avantages : si la langue est claire, la plupart des articles n'ont ni introduction, ni problématique, ni conclusion : mention spéciale ainsi à la contribution de Michel Boutin qui semble y avoir collationné quelques unes de ses fiches, énumérant sans fin des éditeurs et des dates, et s'arrêtant ainsi, comme elle a commencé. Tout est descriptif, l'analyse est rare, la synthèse inexistante. Beaucoup de jeux sont cités sans qu'on daigne nous en résumer leur principe, ou même qu'on nous dise pourquoi, cependant que les redites sont courantes : il y a bien quatre ou cinq évocations du Halma, pourtant ce n'est qu'à la dernière que j'ai compris qu'il s'agissait de l'ancêtre des dames chinoises, mais sans arriver à en apprendre davantage sur son fonctionnement.

C'est d'autant plus regrettable que l'iconographie, extraite quasi exclusivement des collections du musée, est magnifique, même si elle n'est pas toujours là ou on l'attendrait : la description du jeu du Senet ou des 20 cases est ainsi incompréhensible. Le manque de didactisme, l'avalanche de dates et de noms dans un livre qu'on souhaiterait familial et rédigé comme une invite au jeu, tout au moins à la visite des collections du musée, est dommageable. On le lit comme un catalogue d'exposition : davantage pour les images que pour le contexte historique trop factuel et rébarbatif. Pour un livre émanant de passionnés, le plaisir semble loin. Un comble.

Jeux de l'humanité édité par Ulrich Schädler, Slatkine 2008, 222 p., 38 €.

dimanche 4 juillet 2010

Histoire des théories de la communication

Quelle approche pour le jeu ? Si celui-ci relève à priori de la sociologie, qui s'intéresse à nos pratiques sociales de joueur, le jeu en tant qu'expression culturelle appartient pleinement aux sciences de la communication qui étudient autant le contenu critique des productions intellectuelles que leur origine, leur message, leur réception et leurs usages. Histoire des théories de la communication tente le pari de faire le tour de la discipline en 120 pages index compris et malgré une troisième édition revue et augmentée. Cette performance, imposée sans doute par le format de la collection, confine à la stupidité puisque pour ce faire l'impression oscille entre le corps 8 et 6 (pour les encadrés) et s'affranchit de toute marge décente pour la prise de note. Ce livre est donc aussi insupportable à lire qu'à annoter, et je le déconseille aux porteurs de lunettes.

Cette déconvenue surmontée, le contenu est plutôt brillant, dans un langage à la fois clair et accessible il livre ainsi en quelques pages l'origine, l'objectif et le contenu de telle approche sociologique, et on appréhende mieux la différenciation opérée dans les années soixante entre la sociologie et la communication. Il est en outre agréable de lire une présentation des différents courants sans parti pris, mettant en avant l'apport de chacun. Du moins jusqu'à la présentation des sciences de la communication proprement dites où le langage devient beaucoup plus verbeux et où l'auteur finit par reconnaître que, finalement, personne ne sait très bien ce qu'il en est : "...La communication est victime d'un trop de communication (Baudrillard). Ce trop de communication a produit l'implosion du sens, la perte du réel, le règne des simulacres. Pour le philosophe italien Gianni Vattimo, la société des médias est loin d'être une société "plus éclairée, plus éduquée, plus consciente de soi". (p. 102) Il en résulte que le champ dans son ensemble éprouve de plus en plus de difficultés à se dégager d'une image instrumentale et à conquérir une véritable légitimité comme objet de recherche à part entière, traité comme tel, avec la prise de distance indissociable d'une démarche critique." (p. 104-105)

Un livre à la hauteur de son sujet : une science qui se cherche encore, autant dans ses objets que dans ses méthodes, donc encore largement à construire avant de pouvoir être complètement interprétée. Mais il faudrait pour cela que cette discipline en gestation, comme son historiographie, fasse le deuil de tout jargon, ce qui permettrait déjà d'y voir plus clair.

Histoire des théories de la communication d'Armand et Michèle Mattelart, La découverte 2004, 123 pages, 9.50 €.

vendredi 25 juin 2010

Les ficelles du métier

Derrière ce beau titre, se cache un livre ambigü sur la façon de conduire une recherche en sciences sociales. Ceci nous intéresse particulièrement puisque penser le jeu, c'est d'abord penser l'acte de jouer ou celui-ci se réalise, donc ses motivations et son articulation avec le joueur. Le jeu, en tant qu'activité culturelle, est une activité sociale et humaine, qu'il convient donc d'examiner à l'aune des outils développés pour les sciences éponymes.  

Pourtant, au cours de cinq chapitres, le premier présentant ce qu'est une ficelle, autrement dit une manière de penser, les suivants les quatre principes de la recherche sociologique  : les représentations (quelles idées je me fais de ma recherche), les échantillons (qu'est-ce que je vais précisément examiner), les concepts (qu'est-ce que je peux en retirer) et la logique (comment généraliser), on assiste à une suite de recettes pour transformer une observation non problématisée en recherche sociologique. Pour peu que la sociologie et surtout son enseignement en faculté, avec ses mémoires à rédiger et ses échantillons à sonder, vous soit étrangère, pire si vous avez été formé à la recherche scientifique en sciences fondamentales, à partir d'hypothèses, de construction d'une démonstration, d'expérimentation et de conclusions, vous risquez de passer à côté du sujet. 

En effet l'auteur censé nous prendre par la main oublie le fondement même de son ouvrage : ce livre n'est pas fait pour les sociologues mais ceux qui veulent conduire une recherche en sciences sociales et qui ne connaissent pas les "ficelles du métier". Dès lors, on se serait attendu à lire le détail des objectifs et spécificités d'une recherche en sciences humaines, la façon de la conduire, les écueils à éviter, la manière de la mettre en forme et de la valoriser. A la place on se retrouve avec des considérations sociologiques (les étudiants ont tendance à faire ça) sur des outils sociologiques (interprétation de sondages quantitatifs ou qualitatifs, "substruction" de tables de vérité...) dont le rôle et les conditions d'insertion de l'outil de base dans une recherche n'est jamais expliqué ce qui rend difficile l'appréciation de la ficelle sociologique (on pourrait croire que c'est comme ça mais non c'est le contraire) qu'en extrait systématiquement l'auteur. Pire en permanence les ficelles sont seulement évoquées, plutôt que démontrées au travers d'exemples didactiques, et il faut attendre la page 267 pour voir apparaître enfin un tableau qui pose une ficelle (table de vérité) et pas seulement un discours à propos de celle-ci. La forme rend donc presque impossible l'exploitation de ce cabinet des curiosités sociologiques.

Le résultat est un livre écrit simplement, criblé de citations et d'exemples, mais qui ne s'élève jamais au-delà d'astuces de réflexions, certes censées, mais sans fil conducteur ni théorisation, ni même cas pratique, réussissant ainsi l'exploit de ne pas respecter ses objectifs de généralisation aux autres sciences humaines, d'accessibilité à un public de non spécialistes, à fortiori de guide de recherche et de réflexion. Un comble pour un auteur qui a publié "Ecrire les sciences sociales". 

Si ficelles il y a, l'auteur s'y est pris les pieds.

Les ficelles du métier de Howar Becker, La découverte 2002, 354 p., 20 €.

lundi 14 juin 2010

Le héros aux mille et un visages

Enfin réédité, ce classique de la narratologie américaine publié pour la première fois en 1949, qui a inspiré à George Lucas sa saga de La guerre des étoiles, tente le pari d'une théorie globale de la mythologie. Une sorte de Morphologie du conte appliquée aux mythes. Cependant, à la différence de l'ouvrage de Propp, celui de Campbell n'a pas une approche formaliste, et accorde la première place à la signification profonde des mythe dans l'inconscient collectif. D'une grande qualité littéraire, l'ouvrage cite de nombreux mythe au rang desquels sont ravalés jusqu'aux religions monothéistes : christianisme, judaïsme,Islam, Bouddhisme. Cette approche novatrice montre qu'au delà des thématiques spécifiques à chaque religion, la spiritualité sous-jacente fait appel aux mêmes représentations mentales. Pour Campbell le mythe est une formalisation collective de préoccupations universelles et intemporelles.

Quand on sait le lien étroit qui rattache le jeu aux mythes antiques et particulièrement à la figure du héros (jeux olympiques, pythiques...), on ne peut être qu'intéressé par les masques que celui revêt pour nous raconter toujours différemment la même histoire, celle d'une émanation et d'une dissolution, selon les termes de Campbell, ou encore du départ, de l'initiation et du retour (l'aventure du héros, le schéma commun aux mythes). Cette trame est donc très proche des quatre étapes du schéma narratif canonique de Greimas que sont la manipulation, la compétence, la performance et la sanction. La démarche synthétique de Campbell, marquée par la psychanalyse, recompose à sa façon, parfois confuse et scientifiquement discutable, une belle histoire de la mythologie. Pourtant en partageant systématiquement ses sources littéraires avec le lecteur, l'auteur séduit plus qu'il ne convainct :

« L'objet de la mythologie véritable et du conte de fées est de révéler les dangers et les méthodes propres à l'obscure voie intérieure qui mène de la tragédie à la comédie. Cela explique pourquoi les traditions y sont fantastiques et "irréelles" : elles représentent des victoires psychologiques et non des victoires sur le plan physique. Même lorsque la légende concerne un personnage historique réel, la relation de ses exploits n'emprunte pas ses images à la vie, mais au rêve ; l'essentiel, en effet, n'est pas que tel ou tel exploit ait été accompli sur terre : l'essentiel est qu'avant que tel ou tel exploit ait pu être accompli sur terre, cet autre exploit, plus important, primordial, ait eut lieu à l'intérieur du labyrinthe que nous connaissons tous et dans lequel nous pénétrons en rêve. Le héros mythologique, à l'occasion, peut effectuer ce passage sur terre ; fondamentalement, il est intérieur et se situe dans ces profondeurs où les résistances obscures sont surmontées et où des pouvoirs depuis longtemps perdus et oubliés sont revivifiés, pour être disponibles en vue de la transfiguration du monde. » 

Une belle méthaphore du combat symbolique qu'on livre par le jeu, et qui n'est autre que la résolution inconsciente de nos conflits intérieurs et de nos désirs inassouvis, fondement de la construction notre identité. Une réédition nécessaire et de qualité d'un ouvrage qui atteignait une cote indécente sur la marché de l'occasion. Stimulant et toujours d'actualité.

Le héros aux mille et un visages de Joseph Campbell, Oxus 2010, 410 p., 27 €

mercredi 2 juin 2010

L'esprit des jeux

Dans la veine de La société du jeu, Jean-Michel Varenne et Zéno Bianu tentent de peindre les différents jeux qui nous entourent et nous occupent tout au long de notre vie. Cependant, plus qu'à l'esprit des jeux, c'est à la lettre que nous sommes conviés. Outre un classement qui semble hésiter entre chronologie, en ouvrant sur les jeux des enfants et les jeux traditionnels, et typologie en présentant des chapitres sans liens entre eux, la description l'emporte presque complètement sur l'analyse. Ainsi le jeu n'est jamais défini, ce qui permet d'y mettre tout et n'importe quoi : loteries où de l'aveu même des auteurs aucune stratégie sérieuse n'est possible, et surtout la divination qui serait pour eux la quintessence des jeux et clôt donc l'ouvrage...

On trouve donc à boire et à manger dans ce fatras hétéroclite : comme la description sur plusieurs pages de chaque lame du tarot divinatoire, ou l'éloge de la méditation zen, mais pas ce qu'on s'y serait attendu à y découvrir si l'on se fie au titre et à la quatrième de couverture : l'âme des jeux, la compréhension de ce qui les lie et les structure. La vision des auteurs, en prétendant toucher l'esprit des jeux et malgré son éclectisme, ne révèle en fait que l'étroitesse du leur : le seul jeu de société non traditionnel évoqué, et encore à demi mot, est le Mastermind, et il n'y a pas un mot sur les jeux électroniques. C'est pardonnable sur les seconds en 1980, date de parution de l'ouvrage, moins pour la réédition de 1990. 

Le résultat est une compilation de règles de jeux, d'explications historico-tactiques (parfois tout à fait intéressantes), de commentaires subjectifs, de pastiches d'autres livres (merci Caillois) sans véritable fil conducteur ni synthèse de leur apport puisque les auteurs concluent en citant à la fois Caillois, Henriot et Huizinga. Les seuls chapitres originaux se trouvent en début d'essai, les autres tiennent davantage de la mise en fiches que du raisonnement personnel.

Instructif et amusant parfois, dispensable et hors-sujet bien souvent.

L'esprit des jeux de Jean-Michel Varenne et Zéno Bianou, Albin Michel 1990, 340 p., 9 €