mardi 27 avril 2010

Le jeu du jeu

Partant du constat que le jeu sans règle (play) est méprisé par notre société et qu'aucun ouvrage ne lui a été consacré, Jean Duvignaud se livre a une dissertation comme on n'en fait plus. Dans la droite lignée de Roger Caillois, plus que de Johann Huizinga à qui il reproche de s'intéresser seulement au game, le jeu à règle, l'auteur rédige un essai où l'on cherchera en vain la démarche scientifique. C'est un essai littéraire qui part d'un voyage en Afrique du nord et se termine sur l'évocation de Tipasa, de l'Asie centrale, d'une oasis...

A l'instar de l'essai de Huizinga, le premier chapitre est de loin le plus réussi, recadrant la démarche dans une perspective sociétale et philosophique. Au-delà on a l'impression que l'auteur n'a plus rien à dire et divague sans arrêt, à la manière de son modèle c'est-à-dire par analogie, mais sans son érudition. L'auteur évoque ainsi le baroque, la métamorphose, la fascination, le libertinage... que le lecteur raccrochera tant bien que mal au jeu. Si l'on sent que derrière l'éloge de l'imprévu et du "rien intentionnel" que l'auteur tourne autour de l'idée de liberté et de plaisir, on assiste à l'élaboration d'une pensée confuse et vagabonde qui ne transforme jamais ses allusions en réflexions : tout est effleuré, rien n'est approffondi, et les rapprochements sont souvent artificiels et stériles.

L'écriture est fluide sans être limpide, et nombre de références aux années 70 faites sous le couvert de l'allusion nous sont à présent complètement hermétiques. L'ensemble donne l'impression d'un discours mondain et convenu qui n'atteint jamais vraiment son objet, peut-être parce qu'à force de vouloir nous faire voir le jeu partout, l'auteur ne le cerne nulle part.

Peu cité par l'épistémologie, ce livre confirme malheureusement son statut de référence dispensable.

Le jeu du jeu de Jean Duvignaud, Balland 1980, 157 pages, épuisé.

lundi 19 avril 2010

Alice au pays des merveilles

On pouvait attendre beaucoup de l'univers onirique de Lewis Caroll adapté par Tim Burton, qui de plus est en 3D comme les livres cartonnés en relief pour les enfants, où les décors jaillissent du livre quand on tourne les pages. Hélas, si c'est graphiquement superbe et scénaristiquement honnête, contrairement à ceux qui prétendent que l'histoire ne suit pas le livre, il y manque la dimension enfantine qui est peut-être le seul attrait (et leçon ?) du livre, en plus d'une véritable 3D. En effet, la 3D est ici gadget et n'ajoute pratiquement rien. 

Quant à l'univers présenté par Burton, il est à la fois plus sombre (tant mieux) mais aussi beaucoup plus sérieux et réaliste. Certes le scénario est compréhensible, ce qui n'est pas le cas du livre, et on y retrouve les principaux personnages de l"original, mais le ton y est en revanche à la fois très américain (réalisme outrancier, affrontements militaires, parabole manichéenne, morale capitaliste), et bien trop logique : Alice doit essayer de se vaincre elle-même pour à la fois retrouver sa candeur d'enfant et passer à l'âge adulte, les cartes à jouer ont laissé place à de vrais guerriers, les têtes sont vraiment décapitées, certaines créatures énigmatiques à des monstres. La simple illustration du Jabberwocky par John Tenniel devient l'affrontement ultime du film...

On s'attendait à voir un livre d'images animées, plein de fantaisie et de nonsense, on se retrouve devant une batterie d'effets spéciaux et une débauche de scènes d'actions avec la tension dramatique d'un blockbuster. La poésie des décors et des costumes détonne dans un film qui en manque cruellement. Trop nerveux pour un univers contemplatif, trop réglé pour des situations absurdes, trop plat pour un film en relief, trop réaliste pour une histoire symbolique, cet objet visuel non identifié nous laisse plus admiratif que conquis. Dommage. 

Alice au pays des merveilles de Tim Burton, Disney 2010, 1h49 mn.

mardi 13 avril 2010

Jeux de velus


Lorsque je critique un ouvrage, je m'attache dans la mesure du possible à en tirer des éléments positifs, même si ma critique est globalement négative. Jeux de velus est de ce point de vue un véritable défi. D'abord la présentation : un titre plein d'ironie, un éditeur qui n'est pas classé parmi les éditeurs scientifiques, une quatrième de couverture qui commence par : " Jouer ! Qui joue et qu'est-ce que le jeu ?" On s'attend obligatoirement à une vulgarisation dans le bon sens du terme. Il n'en est rien. C'est donc un ouvrage scientique ? J'en doute, malgré les 33 (!) pages de bibliographie. C'est un galimatias inclassable, dont on peine à retirer quoi que ce soit.

Critique récurrente : le style. Insupportable, il est indescriptible : entre circonlocutions sans fin, mots ampoulés, vocabulaire anglicisant exagérément scientifique et syntaxe de collégien. Jugez plutôt : "Activation favorisée par une large atténuation de l'agressivité vis-à-vis de l'Autre sous la férule du septum obéissant à quelques rétroactions sensorielles jugées opportunes par on ne sait quoi, l'hypothalamus latéral, par exemple, lequel, en plus, en ferait une jouissance, lorsqu'il le veut bien." (p. 183). C'est incroyable mais tout le livre est écrit comme cela, vous obligeant sans cesse à relire ce qui vient d'être lu pour ne pas être complètement perdu. Je ne peux imaginer que quelqu'un ait revu ce texte avant de l'éditer, il défie tout sens cartésien. C'est tout à la fois abscons, prétentieux, évasif, maladroit et creux.

Il semble que l'auteur déguise la vacuité et l'imprécision de sa pensée sous une expression dont il se moque en permanence, des fois qu'elle serait trop clairement fausse. Cette distanciation, qui jette la suspicion sur tout ce qui est écrit, devient en outre difficilement supportable quand l'auteur fait de l'humour durant plusieurs chapitres où il ne nous épargne aucun détail de vivisection : rats drogués, énucléés, trépanés, etc. pour aboutir à cette conclusion édifiante : "Voilà, c'est tout. C'est rien. Si, un point encore, ce jeu est le fruit d'une alchimie fragile." Terrible... Alors un doute nous étreint : est-ce tout ce que la biologie a à nous apprendre du jeu ?

Heureusement, l'auteur, pour évoquer le jeu, s'est senti le devoir d'assimiler quelques ouvrages d'épistémologie ludique qui lui permettent de se moquer de la définition de Caillois à propos du jeu en début d'ouvrage, avant de reprendre sa classification en fin d'ouvrage parce qu'à présent elle l'arrange. Tout est à l'avenant. On arrive même à lire en fin de raisonnement que quiconque a observé un animal jouer a pu constater que le jeu provient d'un trop plein d'énergie. Evidemment, si pour conclure un ouvrage "scientifique", on convie l'évidence et monsieur-tout-le-monde comme preuve, c'est un peu mince. Il faut savoir que la thèse du surplus d'énergie a été imaginée par Herbert Spencer en... 1857, et qu'elle est aujourd'hui largement remise en cause, par exemple par la synthèse de Thomas Power et Stéphane Jabob, Petits joueurs, que nous avons critiquée ici même, et qui apparaît en comparaison un modèle de science et de vulgarisation intelligente.

Un livre ni fait, ni à faire. Les rares passages à sauver sont tellement flous qu'il est très difficile de savoir s'ils sont réellement pertinents ou si c'est nous qui leur donnons du sens. Affligeant.

Jeux de velus : l'animal, le jeu et l'homme de Claude Bensch, Odile Jacob 2000, 297 pages, 22 €.