Voici un livre inattendu sur notre passion, puisqu'il s'agit d'un essai théologique. L'homme a toujours considéré Dieu comme Seigneur, c'est-à-dire maître de la création qu'il offre à l'homme pour qu'il étende sur elle son empire. Penser la céation comme jeu c'est proposer un autre rapport à la foi et au monde, fondé sur la liberté, la joie et l'incertitude, où Dieu est le seul point d'ancrage.
A vrai dire les fondements bibliques de cette thèse sont très minces, puisque la seule mention d'un Dieu qui joue se trouve dans quelques versets des Proverbes. Quant à la patristique et aux théologiens, ils ne sont pas nombreux à avoir commenté ce passage ou traité le thème, et encore seulement de manière sporadique. C'est peut-être en cela que réside la faiblesse d'un essai bien long (près de 400 pages) pour expliquer, parfois assez lourdement faute de sources venant à l'appui de cette thèse, la légitimité de cette vision. En outre, malgré une langue simple, certains thèmes n'intéresseront que les croyants, comme de débattre s'il est possible d'admettre un dieu transcendant si le jeu est immanent. Enfin il est étrange que d'autres passages de la Bible, où le champ lexical du jeu est usité, soient passés sous silence, alors que le mépris dont le terme est empreint aurait mérité d'être commenté.
Plus intéressante est la volonté de replacer la pensée du jeu dans l'histoire de la théologie, y compris en la confrontant à la pensée classique ainsi qu'à la pensée scientiste contemporaine, voire en la rapprochant avec lucidité du spiritualisme. Mais c'est quand François Euvé pointe notre réticence culturelle à accorder au jeu une place dans notre société, que son essai est le plus fécond : "De son côté, le jeu, à bien des égards, relève de la catégorie du beau : il ne cherche à manifester ni le vrai (logique), ni le bien (éthique). Il est pénétré de rythme et d'harmonie, "les plus nobles dons de la faculté de perception esthétique qui aient été accordés à l'homme."" (p. 270) plaidant ainsi plus efficacement pour un rapprochement du jeu et de l'art que bien des ouvrages traitant du sujet. Ces réflexions s'appuient en outre sur une épistémologie originale, qui sort des sentiers battus, la bibliographie de l'ouvrage valant a elle seule le parcours.
Une réflexion intéressante, informée, minutieuse, mais plus académique qu'on aurait pu l'espérer sur un tel sujet. Ou comment la forme aurait gagné à épouser le fond.
Penser la création comme jeu de François Euvé, Cerf 2000, 408 pages, 32 €.