dimanche 24 avril 2011

L'esprit de la liturgie

Peu connu, cet ouvrage est pourtant cité des connaisseurs comme Jean Marie Lhôte ou François Euvé. On pourrait se demander ce que vient faire sur notre blog un ouvrage ancien (1918) consacré à la liturgie, si celui-ci ne contenait pas un chapitre intitulé : De la liturgie comme jeu. Disons-le immédiatement : on en peut pas vraiment dire que le jeu y soit abordé en tant que tel. Mais l'auteur, Romano Guardini (1885-1968), sans s'embarrasser de justification, si ce n'est qu'il cite le seul verset consacré à la sagesse qui joue devant Dieu, explique avec autant de simplicité que d'acuité que nos actions sont définies par deux principes : "Utilité et sens sont les deux formes que peut revêtir le droit d'un être à l'existence. Sous l'angle de l'utilité, l'objet s'insère dans un ordre qui le dépasse ; sous l'angle du sens, il repose en lui-même." (p. 108-109).

Certes, la démonstration de ces deux principes est plutôt partiale, puisqu'en substance la Nature serait inutilement complexe et traduirait un gaspillage d'énergie, aussi le principe d'utilité ne pourrait lui-être appliquée. Sa raison d'exister serait de "manifester sa nature essentielle et de s'épanouir comme une révélation naturelle du Dieu vivant." (p. 109). Il est pour le moins étrange de démontrer que la nature, qui n'obéit qu'à la loi de la sélection naturelle, ne serait pas sous l'empire de l'utilité, et que, à fortiori, si son sens devrait résider en elle-même, il soit à chercher en Dieu... Mais l'intérêt de l'idée ne se situe pas dans sa démonstration mais plutôt dans son postulat : considérer que ce qui ressort du jeu est le domaine de l'être et non du faire ou de l'avoir, et qu'à l'instar de l'art, il "se contente d'être le reflet de la beauté du Vrai, splendor veritatis". (p. 110).

Plus encore, la réflexion montre que si l'on peut souvent attribuer à un objet des fonctions qui en tant que telles sont utiles, c'est voir l'effet et non sa cause : "Faute de bien le voir, on s'efforce à trouver dans la liturgie [conçue comme un jeu, rappelons-le] toute espèce d'intentions formatrices et éducatives, qui peuvent bien sans doute, en quelque manière, y être introduites, mais qui n'y sont point primitivement." (p. 115). On notera ici le parallèle avec le jeu qu'on charge de (ou oppose à) l'apprentissage. Alors que l'acte de jouer est simplement, comme celui d'Héraclite, "un monde de vie reposant en lui-même" (p. 115), "la vie s'épanchant librement et sans but, prenant possession de sa propre plénitude, chargée et saturée de sens par le seul et simple fait de son existence." (p. 119-120).

Une vision belle et stimulante du jeu, qui dépasse largement son cadre chrétien et liturgique. 

L'esprit de la liturgie de Romano Guardini, Plon (1918/1930) 1960, p. 102-129, épuisé.

mardi 19 avril 2011

Pour être des parents acceptables : une psychanalyse du jeu

Bruno Bettelheim (1903-1990) est aussi critiqué comme psychanalyste qu'il est ignoré par l'épistémologie du jeu. De façon amusante, cette psychanalyse du jeu cite beaucoup Freud et Piaget qui sont tout aussi critiqués que lui. Pourtant, plus de 20 ans après sa mort, Bettelheim reste connu et célébré. C'est sans doute le sort des plus grands penseurs, quels que soient le leurs erreurs et leurs lacunes, d'être enviés des "meilleurs" inconnus. Et comme ceux de ses illustres et critiqués prédécesseurs, j'ai apprécié cet essai brillant et (toujours) moderne. 

Car Bettelheim est l'un des seuls auteurs à s'être intéressé à l'explication substantifique de notre motivation à jouer : Le jeu est une activité au contenu symbolique utilisée par les enfants pour résoudre au niveau de l'inconscient des problèmes qui leur échappent dans la réalité ; ils acquièrent par le jeu un sentiment de contrôle de soi qu'il sont loin de vraiment posséder. Ils ne savent qu'une chose : s'ils jouent c'est simplement parce que c'est amusant. Ils ne sont pas conscients de leur besoin de jouer - besoin qui a son origine dans la pression exercée par les problèmes non résolus. Ils ne savent pas non plus que leur plaisir de jouer vient d'un profond bien-être résultant du sentiment qu'ils sont capables de maîtriser les choses, alors que le reste de leur vie est manipulé par leurs parents ou d'autres adultes.” (p. 227) C'est avec celle de Freud, l'explication à la fois la plus simple et la plus profonde qui m'ait été donné de lire. En effet, elle dit presque tout : le besoin de jouer, l'importance du jeu pour l'équilibre psychique et le développement, et le lien du jeu avec l'apprentissage, la réalité, le sérieux, le plaisir... et cette explication fait écho à celle de Winnicott, de Piaget, de Freud, voire de Groos.

Bien sûr on regrettera l'absence de notes et de bibliographie, imputable probablement à l'éditeur, et surtout le mélange des genres entre la synthèse des recherches scientifiques de l'auteur, et des supputations qui n'ont pour tout appui que le bon sens, c'est-à-dire l'erreur. Par exemple quand Bettelheim se fait moraliste pour expliquer que la meilleure réponse à un enfant qui tire sur ses parents avec un pistolet en plastique est de le raisonner en lui demandant qui s'occupera  désormais de lui, au lieu de comprendre que c'est ainsi répondre par la réalité à la liberté de l'imaginaire, et prendre la transgression pour une agression. Mais lui reprocher pareille erreur serait en commettre une à notre tour, et oublier que quelques insuffisances et raccourcis ne diminuent en rien la pertinence des autres analyses, puisque aucun ouvrage n'est tout faux ni tout juste.

Je dirais même que si un essai apporte sa pierre, aussi modeste soit-elle, alors il mérite d'exister, et si les pierres sont nombreuses au point de constituer un pan de mur, alors il faut le louer. Cette Psychanalyse du jeu est indéniablement de la seconde catégorie. Simple, agréable à lire (si ce n'est la petitesse des caractères de la version de poche), intelligent et inspiré, je ne saurais trop vous en recommander la lecture si vous vous demandez à quoi peut bien servir le jeu.

Pour être des parents acceptables : une psychanalyse du jeu de Bruno Bettelheim, Robert Laffont (1987) 1988, 401 pages, €.

mercredi 6 avril 2011

L'enfant et le jeu

Descartes, dans son Discours de la méthode, écrit que : Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée", mais s'est pour mieux s'en défier puisque le bon sens n'est que l'illusion de la raison, et qu'il est à la portée de tout un chacun, il ne peut donc représenter une méthode  acceptable. Jean Chateau n'a visiblement pas lu Descartes et nous livre un essai entièrement sous le sceau du bon sens. De ce fait, il n'éprouve jamais le besoin de justifier ce qu'il affirme, puisque c'est évident : "L'enfant aime la règle ; dans la règle il trouve le plus sûr instrument de son affirmation ; par elle il manifeste la permanence de son être, sa volonté, son autonomie." (p. 89). C'est pratique, ne sachant pas ce que l'auteur entend par "règle", "aime", "affirmation" ou "permanence de l'être" on ne peut le contredire. Il enfile ainsi sur 200 pages les postulats comme les perles.

Pourtant connu et respecté, auteur d'une partie de l'article Jeu dans l'Encyclopaedia Universalis, Jean Chateau n'est que rarement cité par l'épistémologie ludique. On comprend mieux pourquoi à la lecture de ce monologue consensuel digne du café de commerce du coin. Rien n'est absolument faux puisque rien non plus n'y est juste. L'ensemble relève constamment d'un entre-deux tiède et fade. Plus contestable, l'auteur utilise son intime conviction en ce qui concerne sa théorie de "l'appel de l'aîné", démontrée nulle part, pour contester les résultats de Terman produits par une méthode d'enquête (p. 155). On ne sauve guère que quelques rares citations d'auteurs qui apportent les seuls arguments de l'ouvrage, et on n'en retient qu'une chose : l'auteur n'a rien à dire sur le rapport de l'enfant au jeu.

Un ouvrage tout sauf scientifique, qui ne nous apprend rien qu'on ne sache déjà, et qui navigue sans cesse de généralisations abusives en raccourcis simplificateurs, sans jamais atteindre à la synthèse ou à la vulgarisation. Une perte de temps.

L'enfant et le jeu de Jean Chateau, Editions du Scarabée (1954) 1967, 203 pages, épuisé.