dimanche 21 août 2011

Le jeu de Robin et de Marion

Le jeu médiéval est simplement une pièce jouée. Sans intrigue, il offre ici un tableau fidèle, au moins aux yeux du public bourgeois auquel il est destiné, de la paysannerie de l’époque, représentée dans ce qu’elle a de plus rustique et de plus typique. La peinture de moeurs est ambiguë : on fait rire du peuple, mais on peint en même temps une vie simple et paisible, le seul personnage noble de la pièce, un chevalier, apparaissant comme un trouble-fête brutal puisqu’il cherche a s’emparer de Marion, la jolie bergère.

Le jeu, celui qui nous intéresse, occupe l’essentiel de la pièce, et sitôt le chevalier parti, les jeunes paysans et bergers occupent leur temps à jouer : jeux de mimes, défis, farandoles, comptines... le public ayant le plaisir d’y retrouver les divertissements traditionnels travestis de façon grotesque et potache. Il est ainsi probable que les représentations étaient l’occasion d’inviter le public à participer, transformant ce théâtre en une suite de jeux au sens premier du terme.

On apprend ainsi au cours de l’histoire la règle de plusieurs jeux, qui naturellement se prêtent au spectacle : “Quiconque rira en faisant son offrande au saint, à la place de Saint Côme devra s’asseoir, et que le meilleur gagne !” (p. 87), jeu qui n’est pas sans rappeler le jeu de l’ambassadeur ou de la barbichette, ou encore “Je veux avec Gautier Grosse Tête jouer aux rois et aux Reines, et je poserai de fines questions si vous voulez me faire roi.” (p. 93), qui trouve sa règle dans la réplique de Gautier “Volontiers, Sire. Commandez quelques chose que je puisse faire et qui ne me soit pas nuisible : je le ferai aussitôt pour vous.” (p. 97), évoquant immédiatement le jeu pré-adolescent d’action/vérité. On est alors surpris de retrouver ces jeux spontanés à des époques si éloignées sous des formes voisines.

Mais c’est peu de choses, et c’est une moisson d’autant plus maigre que la forme de la pièce est trop primaire pour satisfaire esthétiquement le lecteur contemporain.

Le jeu de Robin et de Marion d’Adam de la Halle (XIIIe siècle), Flammarion, pp. 36-129, 6.80 €.

jeudi 11 août 2011

S’amuser au Moyen Âge

Jean Verdon est un spécialiste d’histoire des mentalités, il est l’auteur d’ouvrages d’histoire médiévale sur la nuit, le plaisir, la femme ou encore le rire. Ce type d’histoire, qui fait la part belle à l’anecdote et maltraite l’espace et la chronologie est encore très contestée, touchant autant à l’anthropologie qu’à l’histoire, s’en embrasser pour autant la méthodologie de l’une ni de l’autre. Marcel Detienne, dans Comparer l’incomparable, se faisait l’écho de cette défiance réciproque entre les deux disciplines.

Où se situe le problème ? L’histoire est ici ravalée à une suite d’anecdotes supposées généralisables de fait, sans qu’aucune analyse, autre que l’analogie, ne les rattache les unes aux autres. Qu’importe le saut de plusieurs siècles en avant ou en arrière, de centaines de kilomètres entre deux témoignages, on établit une situation générale à partir de trois cas particuliers. Ainsi on joue quelque part à lancer une faucille contre un mouton jusqu’à le tuer, puis l’auteur relève une autre fois, ailleurs, que c’est contre un porc, et voici que le lecteur s’imagine que ce jeu barbare est une occupation typiquement médiévale.

S’ajoute l’absence de tout fil conducteur : les jeux ne sont pas définis, ne sont pas replacés dans la chronologie, et le chapitre est construit selon une classification qui n’est jamais discutée :  la liste des Jeux de Gargantua en introduction (sans commentaire) est suivie par Les jeux de l’enfance qui se résument à un poème de Froissart sans traduction ni plus de commentaire, suivis par Les jeux d’exercice, populaires puis aristocratiques, ces derniers étant une longue description sans rapport avec le sujet de l’apparat du tournoi, suivie de sept pages en vieux français des Mémoires d’Olivier de la Marche, toujours sans commentaire ni traduction. La partie consacrée aux jeux s’achève alors avec Les jeux du dedans puis Les autres jeux puis Les professionnels. On a l’impression, ni plus ni moins, de ne lire qu’une suite déséquilibrées de fiches sans relief : 1 demi page pour les professionnels et 34 pour les jeux d’exercice.

On glanera au milieu de ce fatras seules quelques dates d’ordonnances et d’événements notables : “Le 3 avril 1369, Charles 5 interdit presque tous les jeux d’exercice ou de hasard, en particulier les dés, les tables ou les dames, la paume, les quilles, le palet, les billes et la soule ; par contre il recommande de s’exercer au tir de l’arc et de l’arbalète.” (p. 165). Sinon rien : pas de problématique, aucun renseignement sur la méthode de collecte ni de synthèse, le tout sans traduction ni analyse : le degré zéro du travail historique. Un essai anecdotique, à l’instar de son contenu.

S’amuser au Moyen Âge (1980) de Jean Verdon, Seuil 2003, pp. 153-209, 9 €.

lundi 1 août 2011

Jeux dogons

« Autrefois, au temps où le ciel était très proche de la terre, les femmes dogons décrochaient les étoiles et les donnaient aux enfants. Quand ceux-ci étaient là de jouer, les mères leur reprenaient les astres et les replaçaient dans la voûte céleste. Ce mythe est certes l’un des plus plaisants parmi tous ceux qui exposent l’origine merveilleuse des jeux. Il est d’autant plus remarquable que le geste si simple et si grand de ce décrochage immense suivi d’une économe remise en place s’applique à une étoile-jouet, démontrant par là toute l’importance des jeux mineurs de ces régions. » (p. 1) C’est sur cette belle métaphore, citée avec pertinence dans Eloge de la pièce manquante que nous avons critiqué ici même, que débute ce recensement prétendument exhaustif des jeux dogons.

L’esquisse d’analyse qui suit l’énoncé de ce mythe est le seul de tout l’essai.  Après une carte présentant en préface le territoire Dogons, à la manière des explorateurs du XIXe siècle, on découvre au fil des chapitres un classement des jeux en dix catégories, classement qui semblent avoir inspiré Roger Caillois, mais c’est bien le seul. Pour ma part, j’en ai  cherché en vain la justification ou la pertinence : « Jouets / Jeux agonistiques / Danses / Jeux d’adresse et de combinaison / Jeux de chance et de recherches / Jeux d’arts plastiques / Jeux oraux / Brimades moqueries / Divination / Jeux-rites ». L’auteur n’essaie même pas de définir ce qu’il entend par jeu, à fortiori ce que le jeu représente pour les dogons, et il ne se demande jamais ou celui-ci commence et où s’arrête. Pire, l’ethnologue ne précise jamais si le jeu a été observé une seule fois (invention spontanée) ou s’il est représentatif de tous les dogons. Aucune distinction de saison, de région, de groupe, de contexte n’est faite. Souvent un chapitre commence sans introduction, s’achevant sans conclusion : une liste de jeux… et c’est tout, chapitre suivant. La durée de la mission d’observations, les conditions de la collecte, les difficultés rencontrées, etc. ne sont jamais évoquées. Bref, un désert méthodologique.

Certes la plupart des jeux sont accompagnés des paroles rituelles en langue originale avec la traduction, ainsi que de dessins de grande qualité. Une suite de photo, qui n’ont pour la plupart pas de rapport avec le jeu, clôt l’ouvrage. Si le sujet est bien ethnologique, la méthode est totalement absente. Pourquoi qualifier les moqueries et brimades de jeux, la divination ? Cela aurait mérité un commentaire. Malheureusement le lecteur est renvoyé à son propre questionnement. Reste le contenu, inventaire brut de jeux d’une peuplade, que l’absence du contexte de collecte rend inexploitable.

Ethnologiquement et ludiquement aussi intéressant qu’un catalogue Joué Club. Seule l’introduction fournit quelques éléments d’interprétation : « On dira peut-être qu’il s’agit là d’exercices religieux et qu’ils ne méritent à aucun degré le nom de jeux ; à cela pourrait être opposé la propre réponse des Dogons qui les désignent par un mot signifiant ébats, amusements. » (p. 2) Comme quoi même les dogons associent le jeu au plaisir. Mais c’est un peu mince… Livre rare, vendu 250 euros environ sur le marché de l’occasion, rien en tout cas ne peut laisser prétendre cet essai à une telle cote.

Jeux dogons, de Marcel Griaule, Institut d’ethnologie 1938, 291 p., épuisé.