mardi 19 juin 2012

Invitation aux sciences cognitives

 
Cette invitation rédigée, une fois n’est pas coutume au point Seuil, en gros caractères, précédée d’une préface et d’une introduction, de plusieurs schémas commentés, alors même qu’elle ne compte qu’une centaine de pages, est tout sauf didactique. Alors même que l’auteur l’explique comme une synthèse de la pensée en sciences cognitives, qui part du biologique vers le culturel, des sciences cognitives historiques vers la recherche actuelle, on ne peut s’empêcher de douter de l’intérêt d’une invitation qui fait tout sauf envie. Symptomatique de cet ouvrage, la définition que donne Francisco Varela de la cognition au début de son ouvrage : « Le traitement de l’information : la manipulation de symboles à partir de règles. » (p. 42) puis la nouvelle définition, une fois le lecteur informé et initié à l’énaction : « L’action productive : l’historique du couplage structurel qui énacte (fait-émerger) un monde. » (p. 112). Personnellement, je trouvais la première définition beaucoup plus claire, donc plus profonde.

Manifeste de l’énaction, point d’orgue de cet essai, je n’ai donc pas réussi à comprendre clairement de quoi il en retournait à partir de ce qui en est écrit. L’énaction est assimilée à l’émergence, donc à une pratique créative de la pensée à partir d’un capital biologique commun : « La plus importante faculté de toute cognition vivante est précisément, dans une large mesure, de poser les questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de notre vie. Elles ne sont pas pré-définies mais énactées, on les fait-émerger* sur un arrière-plan, et les critères de pertinences sont dictées pas notre sens commun, d’une manière toujours contextuelle. » (p. 91). L’idée pour Francisco Varela, en tout cas telle qu’interprétée par Edgar Morin, est que nous ne sommes moins un animal programmé, qu’un animal stratégique, que la cognition s’auto-organise et donc s’auto-produit et devient cause d’elle-même, que la pensée comme le cerveau est dynamique, les influx nerveux locaux se stimulant les uns les autres pour produire une pensée globale qui rétroagit sur les parties productrices et participe à leur organisation.

L’idée la plus importante étant sans doute que la cognition est un moyen de « poser les questions pertinentes » plus qu’un appareil conçu pour y apporter des réponses. De là à en faire le but de la pensée que cette cognition nourrit, il n’y a qu’un pas qu’Edgar Morin franchit en élaborant de sa pensée complexe. Le jeu pour sa part, du moins celle qui nous intéresse, fait une timide apparition à la page 96 en légende d’un schéma nébuleux comme les affectionne l’auteur : « Pour l’espace des échecs, il semble possible de dessiner un réseau de relations dont les nœuds représentent chaque élément pertinent. » Ce réseau est opposé à celui, considéré comme infini, des informations que doit traiter le conducteur d’une automobile. Le plus surprenant est que l’auteur ne semble pas comprendre que si le jeu est déjà un espace organisé cognitivement, au contraire de la réalité, c’est que la lutte que décrivent les échecs est un modèle qui, en tant que tel, ne retient du réel que des éléments saillants qui font symboliquement sens entre eux. Le jeu est bien un système symbolique organisé à partir de règles, exactement la définition que l’auteur a donnée de la cognition, la comparaison avec la réalité brute étant donc sans objet, alors même qu’à l’inverse, le conducteur d’une automobile sélectionne uniquement du monde qui l’entoure les informations qui font sens pour son activité de conduite, tissant un modèle ni plus ni moins complexe qu’un système ludique…

Une synthèse qui brouille les cartes plus qu’elle ne les révèle, et dont la lecture est loin de susciter le plaisir que suggère l’invitation du titre. 

Invitation aux sciences cognitives de Francisco Varela, Seuil 1988, 123 pages, 5 €.

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