dimanche 9 septembre 2012

Jouer : une étude anthropologique à partir d’exemples sibériens

Disons-le tout de suite le titre est fautif. L’étude anthropologique est proposée avant les exemples, qui comme leur nom l’indique, ne servent que d’illustration au découpage arbitraire que propose Roberte Hamayon. Le cadre d’analyse est en effet largement postulé, comme il l’était dans l’ouvrage de Caillois qui a manifestement servi de modèle dans sa structure à cette étude. On reconnaît en filigrane les catégories de l’essayiste, ainsi que les éléments constitutifs du jeu qu’il a édictés. C’est d’autant plus étonnant que l’auteur se montre plutôt critique à l’égard de ses prédécesseurs dont elle reprend à son compte finalement l’essentiel des apports.

D’autre part, en dépit d’une bibliographie pléthorique alors même que l’essentiel de l’ouvrage est constitué d’observations des jeux rituels chez les peuplades mongoles, et malgré l’ambition d’examiner le jeu « à frais nouveaux », la contribution de l’ouvrage à l’épistémologie ludique est relativement mince : la faute à un plan qui au lieu de partir d’analyses consécutives aux observations particulières de l’auteur, se contente de les englober dans une théorie qui ne leur doit rien. On s’étonne même après avoir lu tant d’exemples tirés de jeux rituels, d’apprendre en fin d’étude que les jeux et le rite ne sont pas symétriques. Mais alors pourquoi avoir exclusivement choisi des jeux rituels pour parler du jouer, voire avoir appuyé les démonstrations sur des rites dont on a bien du mal à percevoir l’aspect ludique : danses chamaniques, lutte mongole… ?

Heureusement en conclusion, l’auteur, soupçonnant sans doute ces questions, s’explique : « Face à l’extrême diversité des faits et des approches, j’ai fait un triple choix. D’abord, celui de faire porter l’analyse non sur le ou les jeux mais sur le jouer ou, en d’autre termes, de délaisser les événements pour interroger le processus. Et le choix, qui lui est lié, de ne pas renoncer à l’idée de trouver, au moins dans les exemples de référence, quelque chose qui justifie de considérer qu’il y a unicité de processus au-delà de la disparité des jeux auxquels il donne lieu et des thèmes avec lesquels il interfère. (…) Quant au troisième choix, il découlait logiquement des précédents. Si ceux-ci imposaient d’abord le jouer sous différents angles – il est dans l’essence d’une modalité de l’action que de se manifester de multiples façons –, encore fallait-il définir sa spécificité sous chacun d’eux et saisir les liens entre eux. Par là-même, il devenait possible d’envisager en même temps l’existence d’un concept unique de jouer et l’inévitable fragmentation de ses manifestations. »

On a l’impression que l’auteur, submergée par sa bibliographie et ses notes des années 70, n’a trouvé pour tout salut que de reproduire la formule de ses prédécesseurs, et de conclure qu’on ne peut conclure sur le jeu. Ainsi là où Huizinga examinait le jeu dans chaque aspect de la société (le jeu dans la guerre, le jeu dans l’amour, le jeu dans la justice…) et où Caillois recherchait les traces des genres ludiques dans l’histoire : l’imitation, le simulacre, la compétition, le vertige, Roberte Hamayon part en quêtes de fonctions tirées des précédents auxquels elle en ajoute de nouvelles qu’elle a puisées dans son abondante bibliographie : la virilité, la ruse, le paradoxe, la métaphore qu’elle s’évertue alors à appliquer sous forme de grille de lecture aux rituels ludiques des Bouriates… C’est contreproductif en ce sens que si l’on est convaincu par la première partie, la seconde partie ne fait qu’illustrer ce que l’on sait déjà et ne sert donc à rien, et dans le cas contraire, l’exemple ne saurait de toute façon avoir valeur de preuve, et ne sert donc pas davantage.

Sans doute aurait-il fallu questionner davantage l’articulation jeu/rite, donnant ainsi la première place aux observations anthropologiques. On se consolera néanmoins avec l’érudition des références, mais l’ambition ludologique du propos, si fondée soit-elle à proposer une approche modale, sonne, par l’aveu de la multiplicité du jeu, comme un constat d’échec. Dommage.

Jouer : une étude anthropologique à partir d’exemples sibériens de Roberte Hamayon, La découverte 2012, 369 pages, 26 €.

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