mercredi 1 mai 2013

Le jeu pour le jeu

Ecrit par un inspecteur pédagogique et un professeur d’école normale (l’ancêtre des IUFM), cet essai évite le pire : être pédant et suffisant comme l’affectionnent trop souvent ces évaluateurs de l’Education Nationale. L’ouvrage est ainsi didactique même si le bon sens se substitue, malheureusement trop souvent, à une analyse informée ou une réflexion rigoureuse. En revanche, à part décerner des bons points et des accessits, l’argumentaire se réduit à peau de chagrin, et le présent livre s’appuie essentiellement sur l’exhortation et l’étude d’Henri Wallon, L’évolution psychologique de l’enfant. L’absence de bibliographie est patente, et l’index des auteurs cités malhonnête, puisque l’étude d’Henri Wallon, qui est la source d’une page sur trois, ne s’y retrouve pas plus de trois fois pour deux cents pages…

Ainsi les lieux communs sont égrenés comme des perles : les médias incitent à la passivité (p. 169), l’adversaire du jeu enfant est la « gadgéture » (p. 173), ce qui, même si c’est inexact, flattera toujours le lecteur dans ses certitudes. De même, en bons soldats de l’état, nos agents de l’éducation nationale font des années soixante-dix les conditions inespérées pour mettre le jeu au centre de la pédagogie, car bien sûr leur époque est plus éclairée que la précédente. Alors que la place du jeu dans les textes officiels est peu ou prou la même depuis la fin du XIXe siècle, comme l’a montré depuis Gilles Brougère dans Jeu et éducation en 1992. Les auteurs aiment bien se gargariser de concepts creux comme « donner plus de place au sport », « redéfinir l’école pour en faire une place ouverte », « faire de la récréation une opportunité de jeux », etc. débouchant sur une conclusion à l’avenant : « Les conquérants de l’inutile que doivent être les nouveaux promoteurs d’une pédagogie du jeu, seront les artisans d’une véritable renaissance culturelle. La récréation retrouvée appelle la création. » (p. 167)

Le pire étant sans doute que les auteurs semblent les seuls dupes de leur boniment : « Notre méthode tient ses promesses : soucieux d’apporter un nouvel éclairage théorique à une que nous voulons nouvelle en faveur du jeu, voici que les mesures pratiques préconisées nous renvoient à des questions de méthode susceptibles de fonder une démarche inédite. L’anthropologie pratique du jeu est à la fois la condition et la conséquence de notre stratégie. » (p. 171) Or non seulement les auteurs ne proposent rien de pratique, mais ils imaginent en outre avoir décrit une anthropologie, sans doute parce qu’ils citent p. 172 Le paradigme perdu d’Edgar Morin, dont je cherche encore la réalité. Un livre parfois pas inintéressant, mais qui ne dépasse pas le stade des (bonnes) intentions, échouant, à l’image des circulaires de l’Education Nationale, à proposer, sinon une pensée critique, tout au moins une application à leur démarche.

Le jeu pour le jeu de Joseph Leif et Lucien Brunelle, Armand Colin 1976, 191 pages, épuisé.

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